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Nous du Collège - N  302 - Mars 2025
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         Dossier L’école sur fond de guerre  Introspection


         Libanais au Liban, est-ce effrayant ?


            n tant que Libanais vivant au Liban, je ressens chaque  doivent-ils  souffrir  ?  Pourquoi  devons-nous  vivre
        Ejour  la  douleur  que  nous  partageons  tous.  Les  deux  quotidiennement  terrorisés  sous  les  bombardements
         mois de guerre que nous avons vécus nous ont dévastés,  incessants ? Pourquoi tant de familles doivent-elles fuir
         séparé nos familles et détruit notre pays. Chaque explosion  leur  maison,  fuir  leur  ville  natale,  fuir  même  leur  pays
         et chaque sirène rappellent la fragilité de notre quotidien.  pour se réfugier quelque part de plus sûr en laissant tout
         Chaque explosion résonne comme un cri de désespoir, et  derrière elles ? Pourquoi tant de personnes doivent-elles
         chaque jour est une lutte pour la survie.             mourir pour une guerre aussi insignifiante ? Est-ce qu’elle
         Malgré  les  difficultés  auxquelles  nous  faisons  face,  la  prendra fin un jour ?
         détermination d’apprendre nous emplit. Certains élèves et  Cette  peur  que  nous  éprouvons,  va-t-elle  se  dissiper  ?
         professeurs ont tout perdu : leur maison, leurs vêtements,  Allons-nous  revivre  un  jour  en  paix  ?  Le  monde  va-t-
         leurs meubles, leurs biens et ont dû se réfugier loin de  il revenir à la normale ? Allons-nous cesser de vivre en
         chez eux ! En dépit de cela, le sourire éclaire toujours leur  constante terreur ?
         visage, ils souffrent en silence de peur, d’effroi, de terreur,  Cette trêve va-t-elle perdurer et aboutir enfin à la paix ?
         de colère, de mépris, de découragement, d’accablement  Chers parents et chers élèves, chers responsables et chers
         et de dévastation.                                    directeurs, faisons entendre notre voix pour la paix et la
         Nous  avons  tous  pris  l’énorme  risque  de  nous  rendre  justice. Le Liban mérite un avenir meilleur, un avenir où
         à l’école. Nous entendons les bombardements en étant  chacun peut vivre en sécurité, en harmonie et en paix. Ne
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         en classe. Des idées effrayantes traversent notre esprit :  baissons pas les bras, ne perdons pas espoir, n’arrêtons
         « Est-ce que c’est proche de chez moi ? Est-ce que mes  pas de défendre notre pays, notre Liban.
         parents vont bien sur leur lieu de travail ? Mes proches  Restons unis et sensibilisons notre entourage. La paix est
         sont-ils en danger ? » et nous craignions le pire…    possible, et nous devons y croire.
         Cette  guerre…  vous  me  direz,  pourquoi  cette  guerre  ?                            Theodor Bou Saad 2 6
                                                                                                                 de
         Pourquoi tant de personnes innocentes et tant d’enfants




         (Ne pas) vivre la guerre


           a génération de la Guerre du Liban (1975-1990), celle de  déclare  rejoindre  «  l’Axe  de  la
        Lmes parents, a vécu celle de 2023 d’une manière bien  Résistance ».
         différente de la mienne. En 1975, ceux qui fuient la guerre  Le  9  octobre,  sur  un  petit
         arrivent à y échapper, ils cessent de la vivre. En prenant  groupe  WhatsApp  qu’un
         l’avion, ils la laissent derrière eux. Les ponts sont coupés.  ami  me  conseille  de  créer,  je
         Quelques  lettres,  quelques  appels,  mais  rien  de  plus.  réunis  mes  parents,  ma  sœur
         Aujourd’hui, les choses ont changé.                    et  quelques  amis  proches.
         La  distance  physique  ne  suffit  plus.  On  a  beau  fuir,  la  Pour  la  première  fois,  j’y
         guerre nous suit. Le 7 octobre 2023, je suis à l’aéroport,  transmets  des  informations.
         prêt à prendre l’avion pour Paris où je poursuis mes études  Mouvements   de   troupes,
         universitaires. Debout devant la porte d’embarquement,  déclarations officielles, premiers
         je  reste  figé  sur  mon  téléphone  :  il  est  neuf  heures  du  affrontements.   La   situation
         matin, et via Telegram, je viens de recevoir les premières  s’enlise.  Je  choisis  de  partager
         images.                                                seulement  les  informations
         Je  monte  en  avion.  J’éteins  mon  téléphone.  Coupé  du  qui  concernent  directement
         monde, je me retrouve seul avec mes pensées. Je m’arrache  le  Liban  :  les  événements
         la peau des doigts. À mon arrivée, lorsque je découvre la  qui  ont  principalement  lieu
         violence  des  nouvelles  images,  je  sais  que  la  guerre  va  à  la  frontière.  Pas  d’images
         me  dévorer,  que  mes  yeux  vont  la  chercher  partout.  Et  choquantes,   pas   d’opinion
         surtout, je ressens l’urgence. Un besoin irrépressible de  politique ou d’interprétation. Je   Le groupe WhatsApp
         prévenir mes proches, ma famille, mes amis, désormais  partage des faits. Je nomme le    créé par Yorgo Scheib
         loin de moi. J’envoie un premier message, puis un autre.  groupe LAST NEWS and updates.
         Le  lendemain  matin,  le  8  octobre,  le  Hezbollah  libanais
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