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66 Tribune Nous du Collège - N 295 - Juillet 2021
o
ans le panorama de l’actualité
Dlibanaise, une lueur d’espoir A la station-service
pointe à l’horizon, promettant des
vacances plus ou moins « normales ».
« Normale » est bien la situation que nous nous béante, d’autres le front
évertuons à retrouver depuis près de deux ans. contre le volant ou encore
Hélas, voici que les pénuries d’essence s’annoncent, allongés sur la banquette
suivies quelques semaines plus tard des coupures arrière. Les habitués,
de courant, apportant leur lot de chaos et de quant à eux, finissent par
panique chez les citoyens. créer des liens. Il n’est pas
étonnant de voir, dans
Tic-tac et voyant rouge qui s’allume… Non, il ne certains quartiers, les
s’agit pas du minuteur d’un explosif, mais bien celui seniors patienter sur un
du réservoir de combustible qui menace de panne tabouret en osier près de
sèche. leur véhicule, à l’ombre
La ruée vers le carburant commence. Les files d’un chétif arbuste, autour
d’attentes devant les stations-services se font de d’un café turc, ou encore
plus en plus en plus longues, certains attendent plus se permettre de temps à
de trois heures sous un soleil de plomb, évitant bien autres de déguster une
évidemment de mettre en marche le climatiseur man’ouché devenue désormais un produit de
pour ne pas gaspiller les quelques gouttes restantes luxe. Il y en aurait même qui seraient capables de
du précieux carburant. L’improvisation est alors la se lancer dans une partie de tric-trac pour tuer le
reine de la situation : faire une sieste, ou un demi- temps et rendre l’attente moins pesante.
bain de soleil, ou même se faire livrer un sandwich Nous passerons outre les multiples bagarres,
parce que les estomacs commencent à crier famine les polyphonies de klaxons en do diesel, le
durant les longues heures d’attente. doux tintamarre des jurons et tirades à l’insu des
« responsables » durant la course au carburant.
Ces scènes nous rappellent bien les années de
guerre (pas plus loin que celle de 2006). Les Libanais
sont condamnés à revivre les mêmes évènements,
à tenter de survivre ou de partir. L’été sera-t-il
finalement « normal » ? Les expatriés, dernière
source d’oxygène pour leurs familles, seront-ils
finalement découragés de rentrer ?
Les plus inventifs se font livrer un narguilé, d’autres
en font un moment de lecture pour achever le La célèbre pièce de théâtre de Samuel Becket ne
roman qui traîne depuis un certain temps sur la peut que caricaturer notre situation actuelle, où le
table de chevet ou pour lire le journal et faire des citoyen lambda serait bien le personnage de Lucky,
mots croisés. Sans parler de l’éternelle navigation soumis, esclave des caprices de son bourreau
sur les réseaux sociaux au risque de voir exploser Pozzo, mais tous attendant Godot.
sa facture 3G. Mais qui est Godot ? Quand viendra-t-il ? Pourrait-il
les sortir de cette situation ?
Les personnes matinales poireautent dès l’aube
devant la station, en attendant son ouverture N.Y. BCP
prévue pour 7h30 ou 8h, espérant ainsi un
traitement de faveur. La file prend alors des airs
de dortoir, les conducteurs endormis, certains
affalés sur leur siège, la tête en arrière, la bouche