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Nous du Collège - N 295 - Juillet 2021 Amicale 69
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quelque chose, c’est le placer tout en haut de Nous ne pouvons certainement pas nous couper
l’Olympe, parmi les Dieux. C’est le rendre parfait, de toute forme d’autorité, d’État ou de politique.
sans aucun défaut, au-delà et au-dessus de nous, Pour reprendre Aristote, l’Homme est un animal
faibles mortels. Dans ce cas, impossible de le politique et s’en couper serait perdre notre qualité
remettre en question, questionner ses intentions, première d’hommes. Donc dans un troisième
ou pire : ses actions. Est-ce là une autorité, un état temps, nous allons déduire que bien que le grand
fonctionnel où le citoyen, se bouchant les yeux, navire de l’autorité puisse chavirer vers la tyrannie, il
les oreilles et la bouche, donne une confiance peut tout de même maintenir son cap sur le chemin
aveugle à ses dirigeants ? Le pouvoir corrompt : les de la justice, du mérite et de notre respect. Ainsi,
hommes corruptibles au pouvoir seront corrompus, prenons une deuxième perspective sur le contrat
on ne peut l’empêcher tout comme on ne peut social à l’origine de toute autorité, et étudions le
empêcher le soleil de se coucher. Leur accorder contrat social selon Rousseau. Rousseau part d’un
une confiance aveugle serait naïf ; ce serait notre précepte légèrement différent de celui de Hobbes ;
accord, notre consentement à la manipulation, à pour lui, l’homme est essentiellement innocent,
la démagogie. Car on ne verra plus en l’autorité libre, indépendant des autres, mais est contraint de
des humains capables de commettre des erreurs et s’associer pour se protéger des aléas de la nature.
d’être tenus responsables face à un tribunal et à Dès lors qu’il est en communauté, il doit établir
leurs concitoyens, mais des êtres sacrés, divins, qui des lois afin de préserver la liberté individuelle de
ne peuvent se tromper. Si l’on vit dans la verticalité chacun. Effectivement, la liberté est la différence
et non l’horizontalité, nous demeurerons opprimés. clé entre les deux contrats, puisque Rousseau
Quelle tristesse qu’un monde où l’autorité n’est refuse de céder cette qualité inaliénable à notre
jamais remise en question, où le peuple assujetti humanité en faveur de la paix. Pour lui, ces valeurs
détourne le regard des injustices commises à son ne s’opposent pas et il existe un compromis. Le
égard et se laisse guider par la main vers son sombre nouveau contrat stipule alors que chacun bénéficie
tombeau. Cette remise en question des pouvoirs de droits sacrés que l’État lui doit en contrepartie
est si importante que Montesquieu lui accorde une de l’obéissance, sans pour autant renoncer à notre
place impérative dans sa vision de la démocratie à liberté, qui doit être offerte par l’État. L’autorité
travers la séparation des trois pouvoirs : en effet, le n’est plus cette instance effrayante hors du contrat,
pouvoir législatif pouvant remettre en question le mais une partie prenante, formée de citoyens qui
pouvoir exécutif, lui accorder ou non sa confiance, s’engagent eux-mêmes à œuvrer pour la volonté
et le tenir responsable de ses actions, l’idéal générale, le bien et les libertés de tous. Ainsi,
de la démocratie nous prouve que remettre en nous remarquons deux choses : si je remplis mes
question, ne jamais sacraliser, est essentiel au bon devoirs, l’État se doit d’assurer mes droits les plus
fonctionnement de toute forme d’autorité. Il n’y humains, inaliénables, essentiels. Dans ce cas, mon
a qu’à voir, en guise de contre-exemple, dans les État ayant rempli sa part du contrat, m’ayant offert
pays où la remise en question n’a pas lieu, tous les le bien commun, la volonté générale, je lui dois
blocages administratifs et la misère qui s’ensuivent. en contrepartie respect et obéissance, en tant que
L’autorité perd donc son autorité, du moment citoyen bénéficiant de tant de droits et de libertés.
qu’elle expose ses failles, perd sa souveraineté et Cependant, si l’autorité rompt cet échange et
est influencée, ou même prône l’esprit de fraction cesse de représenter la volonté générale, je suis en
entre les classes et quelquefois les religions, toute légitimité autorisé à me révolter, que ce soit
puisque, comme le disait Aristote, le but politique légalement à travers un changement de vote, ou
ultime est l’esprit de cohésion, de communauté par une insurrection, même s’il est vrai que cette
citoyenne. dernière façon d’exprimer son mécontentement
n’est pas la meilleure, particulièrement pour
L’autorité vile et despotique est donc à bannir, certains philosophes comme Kant.
mais sans autorité, ne serait-ce pas le chaos le plus
total ? Pourquoi existe t-elle si elle n’annonce rien qui Comment faire alors pour assurer que ces droits qui
vaille ? S’il ne faut absolument pas la « sacraliser », nous ont été promis nous soient toujours offerts ?
peut-on au moins la respecter, et reconnaître sa Pour que l’Autorité n’oublie pas qu’elle est au
justesse quand elle le mérite ? service du plus petit enfant parmi nous, que les
dirigeants se rappellent toujours qu’ils sont des