Page 77 - Peurs sur la Colline
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peu plus âgée que moi. Ses longs cheveux roux encadraient
son visage émacié. Des larmes coulaient le long de ses joues
blanches. Elle semblait crier, appeler au secours ! Je restais
immobile, muet, j’étais impuissant. Que faire ? Ce fut alors
que des mains blanches et squelettiques jaillirent de l’eau
et m’attrapèrent par le col, me tirant vers le fond. Je ne pus
résister. Mon corps bascula en avant, et mon visage coïncida
avec celui du reflet de la fille et je sentis une vague de froid
glacial s’emparer de mon cœur, de mon âme, de tout ! Je criais,
hurlais, griffais, m’étouffais, me débattais… Rien à faire, j’étais
pris au piège. Arrivé à ce qui semblait être le bord de la rivière,
je pouvais respirer, parler et marcher comme sur terre. Je me
mis à appeler au secours, saisi par le désespoir. Et maintenant,
que faire ? Reverrais-je un jour le ciel bleu, le soleil, la lune,
les nuages ? Reverrais-je un jour quoi que ce soit ? Tout était
sombre et ténébreux. Le froid qui m’avait envahi au contact du
reflet de la mystérieuse jeune fille me faisait encore trembler.
Ce fut alors que je vis une plaque où était inscrite la phrase :
« Toi qui t’es baigné dans la rivière à l’envers es fait prisonnier,
par nous, les cadavres. Pour être délivré, il faut mourir ou être
remplacé. » Les mains blanches étaient donc des cadavres ! Et la
fille une prisonnière ! La pauvre victime se trouva alors devant
moi, elle avait perdu toute pâleur et fut attirée vers la surface.
Les mains blanches me saisirent et je pus enfin distinguer leurs
visages. Il y avait des hommes et des femmes, tous avaient
des yeux blancs et une peau presque transparente qui laissait
quasiment apparaître leurs veines. J’étais donc le nouveau
prisonnier. J’avais remplacé et délivré la jeune fille.
Aujourd’hui, j’ai soixante ans. C’est mon anniversaire. Cela fait
cinquante ans que je croupis au fond de la rivière des enfers,
et chaque jour, je vois mes mains devenir de plus en plus
blanches.
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