Mot de M.Jean Darwiche

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Inauguration du Mémorial des Martyrs de Jamhour

Mes chers camarades Martyrs, mes chers camarades survivants, c’est chose faite et promesse tenue !

Le Mémorial des Martyrs du Collège Notre-Dame de Jamhour est enfin achevé. Nous avons décidément tenu notre promesse de 1978 faite à nos amis des bancs du Collège tombés durant les premières années de la guerre.

Qui aurait pensé toutefois qu’à cette promesse de 1978 s’ajouterait tellement d’autres. Jusqu'à aujourd’hui  chaque fois que l’un de nos camarades tombait, je me promettais de continuer le projet de 1978. J’ai dit « continuer », mais il faut dire que le chemin n’a pas été facile depuis. Plusieurs amis t’ont rejoint quelques mois ou quelques années après. Chaque fois qu’un ami mourrait, pour moi c’était l’insoutenable culpabilité du survivant. Aujourd’hui, si vous le permettez, c’est au nom de tous ceux qui sont encore debout que je m’adresse à vous.

Révérend père Charbel Batour, recteur du Collège Notre-Dame de Jamhour, chers pères de la communauté jésuite, chers parents des Martyrs, chers amis…

Nous voici donc devant le Mémorial de nos Martyrs. Ce projet vient de très loin. Il a sans cesse été reporté à cause des urgences quotidiennes que la guerre du Liban nous imposait. Il a été suspendu à chaque cortège funèbre d’un ami qui disparaissait. Que d’amis tombés pour le devoir ! Que d’amis aussi, tragiquement pris au dépourvu par l’absurdité de guerres qui n’auraient pas dû être ! Mais nos amis sont morts pour que triomphe la liberté sur l’asservissement, la vie sur la mort.

En 1978, avec un groupe d’élèves nous avions eu l’idée d’un Mémorial des Martyrs de Jamhour pour honorer le souvenir de nos amis de classe tués lors de la « guerre des deux ans ». Par leur engagement courageux et l’exemple de leurs sacrifices, ils nous avaient initiés à l’amour fou du Liban.

En 1983, un groupe d’élèves de la promotion 1979 organisèrent une première levée de fonds et une première pierre pour le Mémorial fut même posée par le père Madet. Mais les épisodes renouvelés de la guerre du Liban ont vite fait de suspendre le projet.

Lorsque le canon s’est tu en 1990, nous avons cru que le Mémorial aurait enfin sa chance. C’était sans compter que la paix des cimetières succéderait au silence des armes. La prudence imposait alors la patience. Le père Daccache nous conseilla ainsi d’utiliser les sommes rassemblées depuis 1983 pour restaurer le mât de notre drapeau et le socle sur lequel repose la grande croix de notre chère église. À défaut d’un Mémorial à l’époque, nous avions offert aux différentes divisions de Jamhour un plus digne salut au drapeau libanais et un ancrage plus fort autour de la croix. Le solde restant de notre levée de fonds a été affecté aux bourses scolaires du Collège.

Aujourd’hui, je me tiens devant vous encore bouleversé par autant de sacrifices consentis. J’ai en effet grandi avec certaines personnes dont le nom est gravé sur le Mémorial. J’ai encore vu d’autres mourir de mes propres yeux. Si le Mémorial voit le jour quelques décennies en retard, les Martyrs eux, étaient tous les jours restés présents dans nos pensées.

Les Martyrs sont restés présents notamment dans les pensées de plusieurs d’entre nous et le projet fut ainsi relancé en août 2014, avec la bénédiction et avec l’enthousiasme du père Bruno Sion.

Permettez-moi aussi de saluer le courage, la patience et la persévérance de tous les membres du comité du Mémorial. Car tout au long de l’année écoulée, c’est un minutieux travail de recherche qui été fourni pour n’oublier aucun Martyr de Jamhour. La décimation de familles entières de certains martyrs et la disparition de leurs proches au fil du temps ont rendu plus ardus le travail d’identification des martyrs, les visites à leurs parents, ainsi que l’envoi des invitations à l’inauguration du Mémorial.

L’histoire de notre pays est une succession de guerres et d’épreuves dramatiques. À l’heure de la commémoration, le nom de nos Martyrs, de leurs abnégations, gravés aussi bien dans notre mémoire que dans le mythe fondateur de notre pays, incarnent l’unité du Liban, l’amour de la vie et de la paix, au-delà de nos divisions. On ne demande pas si un Martyr de Jamhour était combattant ou civil, de gauche ou de droite, dans l’armée ou la milice, et j’en passe sur les catégorisations. Cela nous suffit de savoir qu’il est un Martyr de Jamhour et du Liban.

Nous rendons hommage aux Martyrs de Jamhour. Grâce à eux et à d’autres le Liban est resté et le Collège a conservé sa mission débutée au début du siècle dernier. La mission des pères jésuites au Liban et en Orient a contribué au fil des générations à l’éducation de milliers de jeunes, qui ont à leur tour engagé leur savoir et leurs valeurs humaines  au profit de la société et de son développement.

Cette mission, faut-il le rappeler, a elle aussi connu le prix du sang, car ayant accompagné le Liban dans toutes ses tragédies ; des massacres de 1860 à la guerre de 1975, en passant par la grande famine. Il n’y a qu’à compter les noms de pères jésuites gravés sur le Mémorial pour mesurer à quel point le tribut de la Compagnie de Jésus fut lourd. Dix pères jésuites tombés en Martyrs en moins de cinquante ans !

La mission des pères jésuites, est la perpétuation du témoignage chrétien d’amour de pardon de dignité et de solidarité. Le projet du Mémorial s’inscrit dans la continuité de ce témoignage. Car en inaugurant le Mémorial aujourd’hui c’est la violence, la haine et le ressentiment que nous enterrons. Puissions-nous léguer à nos enfants un Liban ou la guerre est définitivement mise hors la loi.

En ce beau jour de commémoration, les Martyrs de Jamhour attendent de nous plus qu’un acte de recueillement. Ils attendent de nous une continuation, une communion sans cesse renouvelée. Ils attendent de nous que l’on ne perde pas espoir en un Liban meilleur, ils attendent de nous des actes à la hauteur de leurs sacrifices. C’est aujourd’hui une nouvelle promesse que nous leur devons.

Vive le Collège Notre-Dame de Jamhour. Vive le Liban.

Jean Darwiche