Thème de l'année

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Thème de l’année 2019-2020

De la fonction positive de l’erreur

 

Comment une erreur, comprise comme écart par rapport à une règle, peut-elle avoir une fonction positive ? Comment peut-on tirer profit d’une faute dans un système scolaire qui ne fait que la sanctionner par le couperet des notes ?

L’année dernière, nous avons abordé la question de la communication, bonne et mauvaise, à travers les réseaux sociaux. Cette année, nous traitons la question de la communication d’un point de vue très particulier, à savoir celui de l’erreur. Pour mieux communiquer avec les autres, pour faciliter le contact avec eux, on doit toujours s’efforcer de respecter un ensemble de règles. Bien parler, bien écrire, bien s’exprimer font partie du but de notre éducation. Se laisser éduquer par les adultes, par les plus expérimentés parmi nous, implique le développement du potentiel multiple de l’élève avec le risque de commettre des erreurs en cours de route. Ce risque accompagne toute éducation, qu’on soit du côté des éducateurs ou de celui des éduqués. Il peut constituer une entrave réelle comme il peut devenir un moyen d’évolution et de promotion humaine.

S’instruire, se laisser éduquer, implique un apprentissage par essai et erreur, by trial and error. Être en progression, en devenir, nécessite une acceptation positive et réaliste de nos limites humaines dont l’erreur fait partie. En classe, un élève peut faire des fautes en dictée, ou mal résoudre une équation mathématique ou encore mal exécuter un exercice d’EPS. La symbolisation de cette erreur par un adulte expérimenté développe chez l’élève la conscience de cet écart par rapport à une règle. Elle met cette même règle en exergue. L’erreur indique la règle comme l’injustice, la justice et la laideur, la beauté. L’erreur acquiert une valeur positive et constructive quand elle fait naître en nous le désir de son contraire. Aussi, sera-t-elle perçue comme l’ombre du vrai et l’indicateur en creux de la vérité ; elle les fait désirer !

Si l’erreur a ce rôle positif, pourquoi est-elle sévèrement sanctionnée à l’école ? Est-ce que la note, indicateur chiffré, est le seul moyen de symboliser une erreur ? Pourquoi en dictée, par exemple, sanctionne-t-on les 4 ou 5 fautes commises au lieu de mettre en valeur les 300 mots justes ? Pourquoi la note est-elle toujours pensée du point de vue de l’erreur ou du manque au lieu qu’elle mette en valeur le juste et le positif ? C’est là une question que l’on se pose régulièrement au Collège depuis un certain nombre d’années. Elle imprègne tous les changements que nous essayons d’apporter graduellement à notre système éducatif.

Au Petit Collège, nous allons mettre l’accent sur les compétences au lieu de nous limiter aux chiffres et aux notes pour évaluer un élève. Dans les grandes classes, et vu les contraintes des échéances officielles et des admissions universitaires, le système de notation restera une nécessité. Le monde de la concurrence académique et professionnelle nous contraint à ne pas lâcher le système traditionnel de notation. Toutefois, un effort doit être déployé pour ne pas faire payer toute erreur par la note et affecter négativement par là l’avenir de l’élève.

À l’école, nous ne pouvons pas éduquer sans accepter le risque d’erreur ; mais il ne faut pas enfermer un élève et son rendement scolaire dans l’erreur commise. La faute doit devenir un outil d’apprentissage et un moyen pour grandir et mûrir. C’est pourquoi on accordera une importance primordiale au travail formatif, le lieu par excellence de l’erreur. Le sommatif doit intervenir quand l’apprentissage a bien profité des erreurs commises. Il est plus facile de le dire que de le faire, certes ; mais c’est ce que nous nous donnons comme tâche.

Notons que les institutions et les systèmes éducatifs commettent aussi des erreurs. C’est inévitable ; mais il y a toujours un moyen pour rectifier, au besoin, le tir et progresser dans notre mission. L’erreur n’est pas seulement du côté de l’éduqué mais aussi bien du côté de l’éducateur. Un nouvel enseignant qui n’admet pas le fait de commettre des erreurs ne gagnera jamais en expérience et en maturité ; il ne sera jamais un bon professeur. Un parent qui n’ose pas courir le risque de l’erreur, quand bien même il lirait tous les ouvrages d’éducation pour éviter les erreurs, ne sera jamais un vrai père ou une vraie mère. Nos parents ont probablement commis beaucoup d’erreurs dans notre éducation mais ils en ont beaucoup appris. Nos éducateurs ne sont guère exempts de la possibilité de mal éduquer mais ils sont animés par l’amour qu’ils ont pour leurs petits. L’erreur acquiert par là une fonction humanisante, elle nous renvoie à nos propres limites et nous fait désirer d’aller au-delà.

Notons qu’il y a pire que l’erreur : la peur de l’erreur. Avoir peur de commettre une erreur peut être synonyme de paralysie psychologique, voire de régression humaine. Avoir peur de mal parler une langue étrangère signifie qu’on ne l’apprendra jamais. Ne pas prendre le risque de se jeter à l’eau nous condamne toute notre vie à ne pas nager. Éviter la prise de parole en public par crainte de l’erreur implique nécessairement un repli sur soi et un enfermement dans sa timidité. Se dérober à un passage au tableau en classe veut dire se condamner à ne pas progresser en la matière concernée.

En réalité, avoir peur de l’erreur signifie avoir peur du regard des autres qui se pose sur nous quand on commet une action inopportune. Apprendre à dépasser son erreur, à l’assumer devient une vraie victoire sur le regard des autres et une libération de leur jugement souvent superficiel, voire parfois méchant. Dissocier l’erreur du jugement négatif qui l’accompagne est une tâche aussi importante que nécessaire au Collège, en famille et dans la vie tout court.

Nous créant libres, même par rapport à lui, Dieu nous ouvre le champ de l’erreur. Cette erreur devient péché quand il s’agit d’une erreur relationnelle, un écart par rapport à une relation d’amour. Une erreur devient péché quand elle devient dangereuse, voire mortelle ; elle nous coupe d’une relation vitale et structurante. D’aucuns reprochent au discours religieux une certaine obsession par le péché. Mais ils oublient que tout discours sur le péché n’a sa raison d’être qu’à la lumière de l’amour inébranlable de Dieu. Notre péché révèle la profondeur ultime de l’amour de Dieu, sa miséricorde. C’est ce qui a d’ailleurs poussé Saint Augustin à s’écrier Felix culpa, heureuse faute. La croix de Jésus est aussi bien l’expression ultime de l’amour de Dieu que la révélation du plus grand péché du monde. C’est le paradoxe de notre foi ! Aussi, notre péché devient-il l’instigateur du désir de Dieu ; nous désirons ainsi le désir de Dieu. Puisse ce même désir imprégner toute notre action au Collège pour pouvoir mener à bien notre tâche et notre responsabilité les uns envers les autres pour que notre communauté demeure un vrai lieu d’humanité et d’épanouissement.

 

P. Charbel Batour, S.J.
Recteur