CSCS : « Flânerie au Nord » (24/11/2010)

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Flânerie à travers le Liban au Centre Sportif, Culturel et Social
Le mercredi 24 novembre 2010


« Flânerie au Nord » : cette invitation à la découverte s’inscrivait dans le cadre des cinq « Flâneries à travers le Liban » mises au programme de cette année culturelle du CENTRE SPORTIF, CULTUREL ET SOCIAL.

L’apport artistique de l’exposition lui conférait une qualité exceptionnelle. Mais aussi, grâce à la série des conférences ciblées sur le patrimoine du Nord, la Flânerie combla l’intérêt de tous les participants. Cette « Flânerie au Nord » se situant dans la suite de la précédente sur Beyrouth, confirmait ainsi le choix judicieux et opportun des organisateurs de centrer, cette année, ces manifestations sur le Liban.

« Les Flâneries » du CENTRE SPORTIF, CULTUREL ET SOCIAL ont désormais acquis une telle réputation qu’elles sont devenues la série-phare incontournable du Centre.

Mais pour faire découvrir à tous les Flâneurs du mercredi la réalité du Nord en ses multiples aspects, il fallait leur offrir une introduction qui fût à la hauteur de leur attente.

Or ce fut le coup de maître du Centre de présenter en avant-première une exposition unique, digne des plus grands musées, l’exposition d’œuvres du peintre Saliba DOUEIHY.

Comment le Nord avait-il été perçu, ressenti et traduit en lumière par un fils du Nord ?

Cette chance exceptionnelle nous fut offerte par deux collectionneurs passionnés : Messieurs Farouk ABILLAMA et Saleh BARAKAT. Tous deux avaient accepté, avec une générosité qui les honore, de mettre à la disposition de notre public des œuvres de cet artiste que chacun conserve avec une fierté légitime de connaisseurs dans sa collection privée.

Ainsi 21 œuvres de Saliba DOUEIHY étaient rendues accessibles et proposées à notre admirative découverte.

Ce 24 novembre 2010, les cimaises au CENTRE SPORTIF, CULTUREL ET SOCIAL n’avaient rien à envier à celles des plus grands musées. D’autant que jusqu’à ce jour, seuls des musées et des galeries réputés des USA avaient offert une telle rétrospective des œuvres de Saliba DOUEIHY.

Mais qui fut Saliba DOUEIHY ?

Deux dates et deux lieux permettent de cerner sa personnalité artistique : né à Ehden en 1912, décédé à New York en 1994.

On a dit de lui qu’il fut l’artiste qui a su le mieux « pénétrer le secret de la lumière qui inonde la nature libanaise ». (Edouard LAHOUD).

Cependant, sans peut-être en prendre conscience, tous les Libanais ont levé les yeux et prié vers deux de ses œuvres magistrales, chargées de mysticisme.

Oui, c’est bien ce peintre qui, juché sur un échafaudage, a décoré les murs et la voûte de l’église patriarcale de Dimane, fresques qui expriment toute la sainteté qui s’élève de la Vallée sainte, la Qadicha.

Mais c’est aussi à lui que nous devons les vitraux de l’église Saint Charbel d’Annaya qui rayonnent de la sainteté du Saint du Liban.
Mais le mérite exceptionnel de cette exposition fut de rassembler des œuvres qui correspondent aux différentes périodes du peintre.

Ainsi, en parcourant la galerie, nous nous laissons impressionner par ces paysages de la Qadicha, harmonisés et purifiés pour diffuser leur lumineux message religieux.

Mais c’est aussi l’arrêt devant sa tendance minimaliste qui succède aux œuvres plus impressionnistes. Désormais la lumière du soleil, le soleil du Nord, est matérialisée, ramenée à des lignes horizontales et verticales qui sculptent la lumière en tranches de couleurs vives sans la figer.

DOUEIHY est le peintre du soleil du Nord dont les effets le poursuivent et l’inspirent jusque dans son séjour à New York. Avec lui, le soleil du Nord a émigré sans rien perdre de sa luminosité.

Mais prenons le temps de flâner et de nous laisser éblouir par quelques œuvres de l’artiste :

  • Cette façade de maison nimbée de lumière, encadrée par deux cyprès,
  • Vision éblouissante de Maaloula suspendue à sa falaise mordorée,
  • Les Cèdres dont le vert sombre s’étale dans leur cirque doré de la montagne,
  • Verticalité dépouillée de ce chemin grimpant vers le soleil,
  • et ces deux œuvres complémentaires, témoins de l’évolution du « style Doueihy » : le monastère de Qozhaya. Dans le premier tableau, le regard est plus impressionniste pour rendre l’atmosphère mystique des lieux. Mais dans l’autre tableau, épuré et minimaliste, le rouge de la passion religieuse qui se dégage du couvent, se heurte à l’âpre et sombre montagne qui protège l’isolement des lieux.


Enfin, il y a aussi toutes ces œuvres linéaires, minimalistes, dans lesquelles la lumière est découpée en
lignes et en tranches de couleurs vives.

Retenons aussi ce dessin représentant la Vierge à l’Enfant, maquette du vitrail de l’église Saint Charbel à Annaya : Marie et son Fils : lumière divine sur terre, vision d’un croyant du Nord.

Éblouis et émerveillés, nous voulions encore prolonger nos impressions et parfaire notre découverte de l’œuvre de Doueihy. C’est justement la mission que se donna pour nous Monsieur Saleh BARAKAT. Nous lui sommes doublement reconnaissants car, comme galeriste de renom, il a bien voulu prêter au CENTRE SPORTIF, CULTUREL ET SOCIAL quelques pièces significatives de sa collection. Mais il saura aussi nous initier au style de l’artiste dans ce « clin d’œil sur Saliba DOUEIHY » grâce à sa parfaite connaissance de l’œuvre de Doueihy, dont il retraça les périodes et le style dans toute leur variété, celle-ci devint pour nous un fleuron lumineux du patrimoine du Nord.

En effet, « Le Nord » avait ce soir-là un nom, il était un art et restera une lumière : ce fut la soirée « Saliba DOUEIHY ». Inoubliable !

Dans l’enchaînement des conférences culturelles, trois autres conférenciers venaient prendre le relais pour compléter la découverte du patrimoine du Nord.

Cependant, avant tout, nous aimerions reprendre cette citation présentée qui est comme la clé de tout ce qui suit. « Le Liban ?... pays donc à qui est arrivée la plus singulière des histoires, celle d’avoir une histoire bien plus vaste que lui : étroit, oui, dans l’espace, mais épanoui, étayé dans l’architecture du temps ».

Il revenait alors à Madame Samar KARAM, archéologue à la DGA, responsable du Nord Liban, de décomposer pour nous les étapes de cette « architecture du temps » édifiée par le patrimoine du Nord.

En l’écoutant et en voyant les documents qui illustraient son intervention, nous ne pouvions nous empêcher d’avoir une haute estime pour tous ces archéologues du Liban, passionnés et souvent méconnus. Ils prouvent que la sauvegarde du patrimoine est une forme noble du service de la patrie.

Pour le Liban Nord, le champ de travail est immense. Projets et chantiers abondent :

  • une vingtaine de sites archéologiques,
  • 400 sites et monuments classés sur la liste du patrimoine national,
  • et, surtout, la Qadicha désormais inscrite sur la liste du patrimoine mondial.


Nous ne pouvons énumérer ici tous les sites cités, objets de travaux, de fouilles ou de restauration. Retenons-en quelques-uns plus familiers :

  • L’ermitage Mar Bichay à Qozhaya
  • Le couvent Deir el Salib à Hadshit, célèbre pour ses fresques,
  • La restauration des peintures murales à Notre-Dame de Qannoubine,
  • Les fouilles archéologiques au Tell de Arqa,
  • Le hammam Ezzedine, à Tripoli,…


Après cette vision complète sur le patrimoine archéologique du Nord, exploré, sauvegardé, Madame Yasmine MAACARON BOU ASSAF, architecte, docteur en archéologie, vient centrer notre intérêt sur la capitale du Nord, Tripoli. Sous le titre d’ « Aperçu historique sur la ville de Tripoli », son intervention, bien illustrée et documentée, retrace les étapes de cette ville dont les premiers vestiges de présence humaine remontent au paléolithique.

De par sa situation, la presqu’île de Tripoli allait devenir le siège, le parlement, d’une confédération de trois cités phéniciennes : Arwad, Tyr et Sidon, les trois villes. Toute l’histoire orientale s’étaye à Tripoli ; les périodes s’y succèdent et s’enrichissent : hellénistique, romaine, byzantine, arabe, franque, mamelouke, ottomane, et, enfin…libanaise.

Sur son territoire soumis aux sièges, aux destructions guerrières, aux tremblements de terre, aux reconstructions victorieuses, on peut encore admirer de nombreux vestiges de cette épopée culturelle : citadelle, églises, mosquées, madrasas, tours, khans, hammams, souks, résidences…

Il faut bien l’admettre, aujourd’hui, Tripoli est plus riche en monuments historiques que Beyrouth. Raison de plus pour lui conserver et pour valoriser son patrimoine qui est celui de tout le Liban.

Enfin, Mme Ray MOUAWAD, professeur d’Histoire à LAU et présidente de l’ « Association pour la restauration des fresques et des églises du Liban », ouvre un sujet qui nous est cher : « Églises et monastères du Liban Nord : la Qadicha et le Koura ». Nous sommes maintenant au cœur même, historique, du christianisme au Liban. Dans le cadre de la Vallée sainte, toute une organisation monastique s’établit dont le foyer central était le monastère de Qannoubine et son église ; la vie conventuelle et érémitique s’était développée tout autour avec ses cellules, ses grottes-chapelles et ses ermitages.

Dans la même vallée, Qozhaya est le plus ancien monastère habité depuis le XVIIe siècle. C’est là que fut imprimé le premier psautier syriaque en 1585. Si la Vallée sainte est le berceau de la tradition syro-maronite, la plaine du Koura perpétue l’héritage byzantin avec ses églises.

Terminons ce tour d’horizon avec cette note apportée par le P. Bruno Sion, s.j. : si les jésuites ne tentèrent pas de rivaliser en ascèse avec les ermites de la Qadicha, c’est bien sur ces lieux qu’ils vinrent établir leurs premières « stations » : arrivés à Tripoli en 1644, ils implantèrent des missions à Zghorta et à Ehden jusqu’en 1773.

Mais l’Académie libanaise de la gastronomie avait encore son mot à dire. Elle vint à temps nous arracher de cette atmosphère mystique qui commençait à imprégner les esprits. Le menu érémitique n’était pas prévu à son programme. On ne le regrettera pas. Le Nord est une terre hospitalière où les traditions culinaires se sont enrichies de mille héritages. Elles ont fusionné en ce creuset créateur et créatif d’une région au carrefour de l’Orient.

On ne fera pas l’injure aux gourmets libanais de tous bords de leur infliger une dissertation sur les mets, les plats, les recettes du menu : la dégustation gourmande mais objective suffisait. Tout le Nord culinaire était offert sur la table du buffet. Ces mêmes tables qui étaient rehaussées par la corbeille de fruits et la bouteille d’huile offertes par la Fondation René MOAWAD.

Ce soir-là, les mets étaient connus de tous, ils étaient même attendus, obligés en quelque sorte. Ils flattaient l’œil par leurs couleurs fraîches et provoquaient en avance la délectation par les arômes qui s’en dégageaient.

Pour beaucoup de gourmets, ce fut un vrai retour aux sources. Chacun se sentait en terrain de connaissance pour évaluer, comparer et recommencer l’expérience.

Si cette Flânerie n’a guère éveillé des vocations d’ermites, elle a cependant réveillé des désirs oubliés, enfouis dans l’esprit : marcher et parcourir les sentiers de la Qadicha, mieux connaître l’art des fresques médiévales, s’investir dans la sauvegarde d’un patrimoine archéologique, mijoter ces recettes perdues de vue, retrouver la nature, sa beauté sauvage, sa flore : la peindre, la photographier…

Mais ne sommes-nous pas en train de refaire une copie du programme culturel des activités du CENTRE SPORTIF, CULTUREL ET SOCIAL ?

Mais la culture du Nord, ce sont aussi ses prêtres, ses chantres. C’est pour cela que deux voix mélodieuses vinrent parfaire le plaisir ressenti et partagé : Raya et Aya NOUJAÏM, accompagnées par Élie KATEB sur sa guitare, interprétèrent des extraits du Prophète. Nous avions ouvert la Flânerie avec les Peintres du Nord, nous l’achevions avec son Poète.

En cette fin de Flânerie, le « Château Marsyas » aidant, tous les Flâneurs sentaient leur cœur résolument orienté vers le Nord.

Père Bruno PIN
NDJ