50 ans de vie religieuse... un survol : Interview avec le P. Thom SICKING

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Quand avez-vous rencontré les jésuites  et comment avez-vous décidé d’appartenir à leur communauté ?

Je suis né à la Haye aux Pays-Bas en 1940 et je fus élève du collège jésuite de la ville (Aloysius college). C’est là que j’ai fait connaissance avec les jésuites. Leur vie m’a inspiré et je suis entré au noviciat après l’obtention du baccalauréat scientifique en 1959.

Où avez-vous fait vos années de noviciat et  vos études ?

J’ai passé deux ans de noviciat aux Pays-Bas avec neuf novices dont trois ont quitté durant le noviciat et trois autres plus tard. Aujourd’hui, il en reste trois, dont deux au Proche-Orient (Frans van der Lugt à Homs et moi au Liban). Après le noviciat, j’ai étudié en trois ans la philosophie à la Faculté propre des jésuites aux Pays-Bas, à Nimègue et j’ai obtenu la licence. En Belgique, à l’Université de Louvain, j’ai passé une année à la section francophone pour étudier l’économie des pays en développement en vue de renforcer la connaissance active du français et ne pas trop m’éloigner de ma mère, gravement malade à l’époque.

Quand et pourquoi êtes-vous venu au Liban ? Avez-vous continué vos études ici ?

En 1968. Le Proche Orient était devenu depuis 1958 un terrain de mission pour les jésuites hollandais et j’ai rejoint ce groupe.
J’ai fait deux ans d’études de la langue arabe à Bikfaya puis des études de sociologie à l’Ecole Supérieure des Lettres à Beyrouth (dépendante de l’Université de Lyon III) et j’ai eu une maîtrise en sociologie en deux ans. Je suis repartie à Lyon Fourvière pour les études de théologie. A cette époque, presque tous les jeunes jésuites du Proche-Orient faisaient leurs études de théologie à Lyon. Nous y avons constitué une petite communauté de proche-orientaux. Les pères Oliver Borg Olivier et Joseph Buhagiar, bien connus à l’ISSR, faisaient partie du même groupe.

Avez-vous fait votre thèse en France ou au Liban ?

Au cours de mes études en théologie, je me suis inscrit pour une thèse en sociologie à l’Université Paris V, René Descartes, Sorbonne. Mon sujet s’intéressait à une comparaison du niveau de développement de deux villages de la Bekaa, l’un maronite, l’autre chi’ite pour voir dans quelles mesures la différence de religion entraîne, ou n’entraîne pas, une différence dans le niveau de développement. Au début de la rédaction, j’habitais au Liban dans une petite communauté jésuite à la Rue Mohammad el Hout. En 1975 : vu la proximité du « front » de la route de Damas, le propriétaire musulman de l’immeuble, qui nous aimait bien, nous a demandé de quitter, puisqu’il ne pouvait pas assurer notre protection, et que la présence de diverses milices créait un réel danger pour nous. Je suis alors reparti à Paris où j’ai terminé la rédaction de la thèse.

 

Quand avez-vous commencé l’enseignement à l’université ?

Après la soutenance (édité depuis à Dar el Machreq sous le titre « Religion et développement »), j’ai commencé mon enseignement universitaire à la Faculté de Lettres et de Sciences Humaines de l’USJ avec des cours comme « Anthropologie religieuse », « Théorie et empirie », « Introduction à la sociologie », « Sociologie de la famille » et un petit cours de sociologie religieuse à l’Institut Supérieur de Formation Religieuse, dirigé par le P. Szabo. En 1980 il a été décidé de gonfler cet institut pour en faire une formation universitaire complète (Licence, Maîtrise et éventuellement doctorat) et donc fut créé l’ISSR : Institut Supérieur de Sciences Religieuses.

Parlez-nous de vos mandats de directeur de l’ISSR.

Avec une équipe, j’ai mis en place un programme de théologie, mais aussi de pédagogie, de sciences humaines et de spiritualité, pour donner une formation à ceux qui, sans être prêtres, étaient actifs dans le domaine pastoral, comme les religieuses mais aussi à un certain nombre de laïcs bien engagés. J’ai assuré trois mandats de directeur de ce nouvel institut. Mon enseignement de la sociologie y a pris une couleur pastorale : la religion populaire, les minorités religieuses, les rapports entre laïcs, religieux et prêtres dans les Eglises, les sectes, etc. La première orientation d’une sociologie objective du fait religieux n’est arrivée qu’en second lieu, en l’an 2000, lors de la création de la Faculté des Sciences religieuses, dont l’ISSR n’était désormais qu’une partie.

Vous étiez aussi coordonnateur du Master en sciences religieuses à la FSR… et vous y avez travaillé la recherche….

Cette nouvelle faculté a mis en place une maîtrise en sciences religieuses, puis un Master (après la réforme et l’adoption de l’ECTS). Le doyen de l’époque, le père Boisset, m’a alors chargé de la coordination des programmes de ce Master, ce qui m’a fait rejoindre dans mon enseignement mon point de départ de sociologie de la religion sans pour autant délaisser les enseignements dans le domaine pastoral. Une recherche sur les rapports entre prêtres religieux et laïcs dans les Eglises catholiques au Liban a été entreprise avec une équipe.

Où en est la publication de ce projet ? Où en est celle de la recherche sur les espaces religieux au Liban ? Y en a-t-il d’autres ?

Les entretiens nécessaires pour cette étude ont été faits et un début d’analyse a également été accompli. Il ne reste que la rédaction, mais par les charges administratives et d’enseignement, je n’ai pas trouvé le temps de finaliser cette rédaction. J’espère pouvoir la réaliser puisque ayant atteint l’âge de la retraite, je pourrai me retirer de l’administration et diminuer mes charges d’enseignement.
Pour «  Les espaces religieux au Liban » les données existent, mais la rédaction se fait attendre. Les différents membres de l’équipe ont tous des charges importantes, ce qui ne leur permet pas de consacrer beaucoup de temps à ce projet. C’est la difficulté de toute la recherche à l’USJ où nous ne disposons pas de personnes libérées pour la recherche.
Finalement, un projet de recherche sur la famille chrétienne au Liban est en cours et je suis un membre responsable de l’équipe.

Quelles sont vos autres activités ?

Tout en étant principalement engagé à l’Université, en tant que prêtre jésuite, j’accompagne des retraites, je donne des conférences spirituelles et j’accompagne des groupes de familles.

50 ans de vie religieuse, qu’est-ce que cela signifie pour vous aujourd’hui ?

Cinquante ans de vie religieuse dans la Compagnie : c’est un chemin. Il commence par une découverte et une formation. Découverte d’Ignace et sa spiritualité, découverte aussi d’autres jésuites avec qui on partage la vie. Découverte du Liban, de ses richesses et de ses problèmes. C’est une période marquée par une longue formation avec d’autres jésuites et des liens qui se créent. Ces découvertes ne s’arrêtent pas mais deviennent progressivement des défis. J’ai vécu des situations de responsabilité comme supérieur de maison ou dans des postes d’administration. Des amitiés se créent avec les collaborateurs et étudiants. Ces relations m’ont beaucoup influencé. Des demandes de retraites, de récollections, de prédications, d’accompagnement m’obligent à chercher des réponses. Ce sont souvent ces multiples demandes qui m’ont fait avancer. Même si je ne me sentais pas à la hauteur de ce qui est demandé, j’étais mené à faire face. C’est ainsi que je découvre combien ces multiples invitations sont un moteur puissant qui m’empêche de tomber dans une routine. Ce que je suis aujourd’hui, aussi bien sur le plan intellectuel que sur le plan spirituel, est dans une très grande mesure le résultat de toutes les demandes qui m’ont été adressées et des relations qui se sont nouées. Et ce chemin continue…

(Paru dans Faculté des sciences religieuses www.fsr.usj.edu.lb)