Ils sont tous là ! Nous les croisons dès le hall d'entrée, on les côtoie dans le grand escalier, ils nous attendent dans la galerie. Facétieux, héroïques, pris d'une grosse colère, assoiffés, gaffeurs...
Ils sont tous là ! Nous échangeons avec eux un regard complice, malicieux, parfois teinté de nostalgie : « Ah, comme le temps a passé depuis... » Il suffit d'un clin d'œil pour faire ressurgir un souvenir partagé ensemble.
Oui, ils sont tous venus ce mardi 24 février 2009, invités attendus de la « Flânerie en Belgique ». Bien entendu, vous les avez bien reconnus, ce sont les héros de la bande dessinée belge, les vedettes du 9e art ; « De Tintin à... Le Chat », tel était le programme enchanteur de l'exposition sur la bande dessinée belge. Occasion de retrouver tous ces personnages familiers, qui sont, pour chacun de nous, de vieilles connaissances.
L'exposition très bien mise en valeur dans l'Espace Béchara Nehmé, donnait d'emblée un ton très belgiquement belge à cette soirée aussi amicale que culturelle. L'humour renversant de « Le Chat » nous introduit de plein pied dans l'univers fascinant de la BD. Muni d'un bock bien frais de KREIK, picorant d'ici et là quelques savoureux amuse-gueules dont nous gratifient des serveurs attentionnés - (Ah, ces feuilles de chicon à la crème de roquefort !) - nous partons vagabonder dans le monde de l'image et du rêve, enchantés de retrouver les mythes et les héros de notre jeunesse. Car la BD n'est pas un art infantile. Ici, les héros cristallisent en eux les aspirations que chacun a pu porter en lui : aventure, héroïsme, joie de vivre, émotion, camaraderie et surtout, ce plaisir de rêver et de s'identifier à ces figures nées de l'imagination d'artistes. Avouons-le aujourd'hui, tous ces personnages portent un peu de nous-mêmes.
En préambule, attardons-nous devant ce petit panneau si instructif où sont détaillées les grandes étapes de l'histoire de la BD belge : 1929, HERGÉ, le père fondateur au talent génial ; puis les effets imprévus de la Seconde Guerre mondiale avec l'apparition de nouveaux noms pour remplacer les créateurs américains : JIJÉ, JACOBS..., et surtout l'âge d'or à partir de 1950 avec « Le journal de Tintin » et l'hebdomadaire « Spirou », pépinières de talents et tribunes de nouveaux héros ; le tournant des années 1960-1970 marque un changement dû au vieillissement du lectorat et provoque une évolution esthétique et thématique qui a permis à la BD du XXIe siècle de s'affirmer dans des domaines nouveaux.
L'espace de l'exposition se partage en deux pôles : le côté « Tintin » faisant face au côté « Spirou ». Mais repassons au comptoir pour nous réapprovisionner avec un bock de la blonde HOEGAARDEN. Justement, Tintin et le capitaine Haddock nous y ont précédés pour étancher une soif désertique.
Pôle « Tintin » : les 26 planches exposées nous présentent la première page de numéros parus dans les années 1946-1950. Ici, les grandes figures sont Blake et Mortimer, deux compagnons d'aventure nés de l'imagination créative, et même prémonitoire, de Jacobs, surnommé à juste titre « le baryton du 9e art » (Hergé en étant le ténor bien sûr !). Un conseil tout diplomatique : les grands de ce monde qui s'efforcent de gérer les conflits planétaires de notre temps, pourraient prendre comme livre de chevet un de ces albums où les deux héros de Jacobs font triompher le droit et souvent la planète. Plus loin, Tintin nous salue au milieu de ses compagnons. Souvenons-nous que Tintin est apparu pour la première fois le 10 janvier 1929 dans le supplément du journal « Le Vingtième Siècle ».
Ainsi en ce XXIe siècle, ce cher Tintin a donc 80 ans. Les albums de ses aventures ont été traduits en 50 langues et vendus à 300 millions d'exemplaires. D'ailleurs les CDIs du Collège s'honorent de posséder sur leurs rayons les exemplaires de ces grands classiques de la littérature.
Dans le pôle « Spirou », de nouvelles planches présentent les artistes et leurs héros. Ils nous sont aussi très familiers car ils ont été les compagnons et les enchanteurs de notre enfance. Le premier à l'honneur est ROB-VEL à qui nous devons le célèbre « Spirou ». JIJÉ nous a fait rêver avec les aventures de « Tanguy et Laverdure ». DOISY a donné à Spirou son compagnon « Fantasio ». MORRIS nous a enchantés avec son cow-boy sympathique, terreur des « Daltons » : Lucky Luke. (Tiens, il est en train de s'entraîner à tirer plus vite que son ombre, à côté de la bibliothèque). FRANQUIN, lui, mériterait un Prix Nobel pour avoir libéré le Rire grâce aux aventures désopilantes de « Gaston Lagaffe ». Sa silhouette, postée près du Bureau du Centre Culturel, pourrait laisser penser qu'il vient postuler un emploi culturel auprès de Madame Maatouk !
Si vous êtes arrivés par la galerie extérieure, peut-être avez-vous bondi en apercevant l'énorme et drôle animal jaune en train de contempler les convives de la Salle de réception ? C'était bien le célèbre « Marsupilami », compagnon de Spirou et de Fantasio.
Enfin ! Vous avez pu en voir un de près, au-dessus de vous. Un « Schtroumpf » ! Ces gentils lutins, si typiques avec leurs bonnets et leur petite queue, sont l'œuvre de PEYO. Son idée géniale a été de doter ces petits personnages d'un langage qui permet à tout le monde d'être d'accord. Donnons donc exemple de ce facile moyen de compromis universel pour inventer la diplomatie du Schtroumpf. Nous lançons un salut amical à l'un des derniers-nés de cet univers : le « Petit Spirou », aussi facétieux que son compatriote : le Manneken Pis.
Après un dernier tour d'horizon sur la galerie et son monde du rêve, il nous faut maintenant « schtroumpfer » à l'autre étape culturelle de la soirée.
Mais nous n'allons pas trop changer de registre car la conférence « Ceci est un conte » va nous maintenir dans un univers onirique et imaginaire, celui conçu par quelques grands peintres belges.
Monsieur Michel BAUDSON, directeur honoraire de l'Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, s'est fait le magicien-conteur de ce parcours qu'il maîtrise avec finesse et compétence.
« De Breughel à .... Magritte » sera le conte qu'il va déployer pour nous par ses commentaires avertis et les images sélectionnées. Il nous plonge dans l'univers de Bosch, de Breughel, d'Ensor, d'Alechinsky, de Magritte, de Broodthaers, de Panamarenko et de Delvoye. Un conte par l'image qui s'étend du XVIe siècle au XXIe siècle.
Mais qu'ont donc de commun ces artistes anciens, modernes et contemporains ? Ils partagent une vision à la fois lucide et ironique de la condition humaine, et celle-ci reste bien identique à elle-même à travers le temps. Ils ont en commun une sensibilité, une âme, que l'on peut qualifier de typiquement « belge ».
Avec Monsieur BAUDSON, tournons les pages de ce « Conte » pictural.
Avec ces dernières images, le conférencier referme ce « Conte ». Si le peintre ne peut pas maîtriser la condition humaines, il peut néanmoins en traduire les réalités : vie, mort, joie, souffrance, aspirations...
L'étrangeté et la dérision, saisies par ces artistes, ne sont-elles pas un langage de dépassement et de rêve face à la condition humaines ?
Puis les quelques 370 invités et participants, (chiffre jamais atteint jusqu'à présent pour ces Flâneries), pouvaient se diriger vers la salle Michel Eddé. Le plus célèbre de tous les belges les y attendait près de la porte. Bien campé sur ses petites jambes, le Manneken Pis nous souhaitait, à sa façon, un glougloutant bon appétit pour le dîner gastronomique.
D'ailleurs la statue en chocolat du petit phénomène trônait au centre de chaque table, au milieu d'une ronde de canettes des bières belges les plus célèbres. Malgré ces sollicitations gourmandes, chacun se mit à l'écoute attentive des mots de bienvenue qui furent à la hauteur de cette soirée belgo-libanaise.
Avec son aisance coutumière, Madame Hobeika se fit la chaleureuse introductrice de la soirée nous rappelant, entre autre, que « la Belgique ce n'est pas seulement des moules-frites et des blagues, la Belgique, c'est aussi un patrimoine architectural, historique et culturel remarquable et surtout un art de vivre ». Et ce soir, nous étions tous disposés à les apprécier.
Le R.Père Salim Daccache prit place à son tour au pupitre où se tenait déjà le buste de Tintin. C'est avec beaucoup de cœur qu'il a tenu à rappeler les liens centenaires entre le Liban et la Belgique, reconnaissant avec justesse « que nous avons à apprendre de cette « douce » Belgique les bonnes méthodes politiques qui aident à construire des relations de paix et de confiance ». Avec gratitude, il a rappelé « les innombrables gestes des collèges jésuites belges qui nous ont aidés à reconstruire notre Collège cinq fois détruit pendant la longue guerre ».
En bon connaisseur de l'histoire de la Province, le P.Daccache cite ces grands jésuites belges qui ont laissé leur empreinte au Liban : le célèbre Père Lammens, grand islamologue, et bien d'autres dont « le biologiste toujours opérationnel », P. Pierre Wittouck, « planteur d'ananas sur les terres de Tanaïl ». Le P.Recteur conclut que parmi nous élèves, le Collège compte les trois enfants de M. et Mme Verkammen et 27 autres élèves libano-belges.
Monsieur Johan Verkammen, ambassadeur de Belgique, nous a dévoilé avec maestria tout l'art d'être diplomate. Passant avec aisance de propos plein d'esprit à des convictions très pertinentes, il nous a dressé un tableau au réalisme séduisant du pays qu'il représente si dignement.
Tout de suite, il nous place au cœur de la réalité belge. « L'espace d'une soirée cette salle représente la Belgique. Ici au milieu se situe Bruxelles, la capitale. La frontière linguistique entre flamands et wallons passe tout droit devant moi : toutes les tables à ma droite représentent des villes flamandes, toutes celles de l'autre côté des villes francophones... Alors ma question est la suivante : est-ce que cette partie de la salle ressent une certaine animosité vis-à-vis de cette partie-là de la salle ? A vous voir souriants, je ne le pense pas ». Puis M. l'ambassadeur nous initie à « l'identité belge » en exposant ce qui fait « notre particularité » : « Etant à cheval entre les cultures latines et germaniques, nous nous plaisons à dire que nous avons repris et combiné le meilleur de ces deux mondes. C'est notre richesse ». Et à ce titre d'exemple de l'esprit bruxellois et belge si plaisant, il désigne le « Manneken Pis » : « C'est notre Tour Eiffel. C'est la Statue of Liberty à la belge ». (Heureusement que l'insouciant et joyeux petit bonhomme n'a pas les mêmes dimensions que ces deux monuments !). Quant aux célèbres Schtroumpfs de Peyo, ils sont devenus la référence du « compromis à la schtroumpf, pardon, à la belge ».
Puis c'est avec une légitime fierté que Monsieur l'Ambassadeur énumère quelques réalités par lesquelles la Belgique se distingue et s'impose internationalement. Je n'en retiendrai que celle-ci qui n'est pas la moindre : « Nous sommes fiers d'avoir inventé ... les frites ! »
« Alors maintenant il ne me reste plus qu'à vous schtroumpfer un très bon appétit, et place à la chanson belge avec le fantastique Eddy Barsky ! » (Applaudissements enthousiastes et soutenus).
C'est le moment de desserrer la cravate et d'étudier le menu gastronomique. Le Chef Stéphane Pierre, assisté de son adjoint M. Jelloul, avait bien compris que l'honneur gastronomique belge était en jeu face aux fins gastronomes que sont les participants des Flâneries. L'exploit était à la hauteur de ce défi culinaire : à Jamhour, la Belgique gastronomique a remporté un triomphe. Le menu était construit avec un grand art : chaque plat, délicieux en lui-même, préparait et conduisait à la finesse du suivant. Les vins du Domaine Wardy : rouge Château 2006, s'harmonisaient à la perfection avec les plats. Prenons le plaisir de reproduire ce menu : la salade liégeoise ; le waterzooï revisité aux poissons fins et crustacés ; la ballottine de volaille fermière au cœur de witloofs caramélisées, gratin de pomme de terre au fromage d'abbaye, sauce à l'orange et arômes de chocolat ; la tourelle croustillante aux deux chocolats grand cru.
Et pendant que les papilles goûtaient l'extase, nos oreilles participaient à la fête du goût et du plaisir. En effet, Eddy Barsky, à la voix d'or, nous plongeait avec talent dans les grands moments de la chanson belge : Brel..., Adamo ! Quelle ambiance ! Autour des tables, servies avec efficacité, l'atmosphère était à la cordialité, à l'échange de bons propos, au plaisir de se retrouver pour partager l'esprit de cette fête si belge.
Oui, comme le disait si bien M. L'Ambassadeur : « L'espace d'une soirée, cette salle représente la Belgique, UNE FOIS ! »
P. Bruno Pin