Nous du Collège n°289, juillet 2018

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Nous du Collège n°289, juillet 2018

La joie des vacances, la joie de l’achèvement

L’année scolaire 2017-2018 touche à sa fin. Quand ce numéro du Nous du Collège sera entre les mains de nos lecteurs, les élèves et les enseignants seront pratiquement en vacances. Les vacances, certes, sont plus qu’attendues après quelques mois de travail et parfois de tensions scolaires et institutionnelles. L’idée d’avoir un temps ouvert, l’idée d’avoir un temps vacant, un temps où rien n’est programmé, ni le réveil le matin, ni les cours à assurer ou à suivre, ni des devoirs ou des évaluations à faire ou à corriger, ce temps est sûrement une source de repos et une source de joie.

Mais cela va sans dire qu’il y a joie et joie. Nous pouvons être tentés d’appeler joie n’importe quel sentiment de bonheur passager ou de plaisir éphémère, alors que la joie implique un bonheur et des plaisirs vécus. Le contraire est loin d’être vrai. Dans tous les cas, nous soulignons depuis des années que, dans notre communauté, nous ne sommes plus d’accord sur ce que nous voulons dire par le mot « joie », qui risque d’être une source supplémentaire d’ambiguïté et d’incompréhension entre nous. J’ose dire qu’autour de ce concept de joie nous pouvons noter une divergence dans les valeurs auxquelles nous sommes attachés. Autrement dit, de la définition de la joie dépend notre échelle de valeurs. Pour cette raison, ce sujet me semble de première importance. Il y a quelques années, nous avons pris la joie à l’école comme le thème de toute une année scolaire et nous avons essayé de définir les lieux concrets de la joie à l’école, et les difficultés qui nous empêchent parfois de vivre cette joie qui demeure ce que chaque cœur humain désire et vers lequel tout un chacun tend. Mais nous ne nous sommes pas attardés sur les ambiguïtés de la joie imaginée ou anticipée, qui diffère radicalement de la joie vécue réellement au plus intime de nous-mêmes et qui est de l’ordre du don de la vie…

Nous pouvons nous donner un plaisir, nous pouvons créer toute la sécurité nécessaire à notre bonheur mais la joie, nous ne pouvons pas nous la procurer, elle demeure de l’ordre du don… la joie est donnée par un autre ; elle n’est ni anticipée ni calculée ni forcée, sinon elle serait autre chose. La joie ne peut être que reçue et accueillie dans la simplicité de la rencontre avec les autres. Rien n’égale la joie de la rencontre en famille, entre amis ou entre des personnes qui s’aiment. La joie ne peut nous arriver que d’un autre qui n’est pas moi sinon elle ne serait pas la vraie joie. C’est là où réside toute la difficulté et c’est là où doit s’appliquer une éducation bien éclairée. Il est tout à fait normal que nos jeunes se trompent dans leur recherche de la joie mais il n’est pas très normal que les adultes se trompent là-dessus et maintiennent les jeunes dans la confusion entre joie et plaisir. Peut-être est-il compréhensible que les élèves croient que la joie peut advenir dans une prise de vidéo faite en cachette en classe ; ou dans un pétard jeté lors d’une cérémonie officielle ou dans un coup monté contre un professeur ou un camarade. Certains croient que la joie se trouve dans une cigarette fumée dans un coin reculé du Collège ou dans une petite fugue pratiquée d’une manière subtile dans le coffre d’une voiture ou par l’escalade des murs de l’enceinte, etc. Certains vont jusqu’à croire que la joie est procurée par une vie sociale et relationnelle sans limites, lors de soirées tardives passées dans les boîtes de nuit en semaine comme le week-end, par le fait de fumer un « joint » ou plus, pendant le week-end et j’en passe.

Peut-être le propre de la jeunesse est-il l’essai et l’erreur mais les éducateurs, à savoir d’abord les parents et puis les enseignants à l’école, ne doivent pas succomber aux mêmes erreurs ; ils n’ont pas le droit de pousser les jeunes dans cette confusion au risque de manquer à leur devoir d’adultes et d’éducateurs. Nous sommes parfois déboussolés et tristes d’entendre des adultes, des éducateurs défendre les fausses joies des jeunes comme si elles étaient un acquis et un « must »... C’est là où l’on se pose beaucoup de questions par rapport à notre relation, fondée essentiellement sur la confiance et sur l’accord profond de nos échelles de valeurs… Si les enfants et les jeunes perdent leur jugement, ils auront le temps de se corriger et d’apprendre. Si les éducateurs n’ont pas un bon jugement, c’est toute la société qui sera en danger et qui risque d’entrer dans une décadence certaine…

Notre Collège s’est engagé dès le début à être une communauté de construction, de progrès et de distinction. Pour cette raison, ce même Collège ne peut pas se trahir en acceptant ou en permettant des actions ou des propos qui contrediraient la perspective de la joie véritable et qui induiraient la jeunesse en erreur. La nostalgie du passé, qui ne se répétera jamais à l’identique, ou un certain esprit conservateur ne doivent jamais pousser notre communauté à accepter l’inacceptable, par exemple dans une activité appelée faussement « parade ». L’ouverture à la jeunesse et la compréhension de ce qui l’anime ne sauraient être confondues avec une permissivité laxiste et un manque d’autorité et de guidance.

Les jeunes ont besoin de nous pour grandir et mûrir, mais il serait dommage de les « utiliser » pour nous installer dans une adolescence prolongée ou dans une nostalgie creuse d’un passé périmé. Dans une communauté comme la nôtre, la joie ne sera réelle que si chacun accomplit ce qui lui revient en tant qu’élève ou en tant qu’éducateur. Que nous soyons en vacances ou au travail, que nous soyons à la plage ou au bureau, la joie nous touchera dans la mesure où nous serons ouverts véritablement à elle, alors qu’elle nous échappe dans notre recherche forcée de ses plaisirs... Profitons de ces quelques jours de repos pour nous laisser éduquer par la joie intérieure. Soyons plutôt en « vacances », mais non pas dans l’oisiveté, pour continuer à vivre en paix et en harmonie dans cette communauté qu’est le Collège Notre-Dame de Jamhour.

 

P. Charbel Batour, S.J.
Recteur