[Nous du Collège n°296, mars 2022 : version consultable en ligne, cliquez]
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Éditorial : “ Faire école à l’ère du Covid, est-ce encore possible ? "
P. Charbel Batour, S.J.
Recteur
Au moment d’écrire ces quelques lignes pour introduire le nouveau Nous, nous nous sentons complètement submergés par la gestion des cas de Covid au sein de nos deux campus. Depuis la rentrée des vacances de Noël, nous sommes happés par la gestion « sanitaire », cette « nouvelle compétence » que nous devons acquérir pour parer à la progression de l’épidémie au Collège.
La pédagogie, l’accompagnement, l’éducation, les activités ont été reléguées au deuxième plan. Préfets et responsables de cycles sont débordés. Désemparés, les enseignants essaient, autant que faire se peut, de maintenir un rythme de travail ordinaire. Les élèves sont déstabilisés par cette perturbation quotidienne. De fait, en ces temps-ci, le plus grand malheur qui puisse s’abattre sur un élève, c’est qu’il lui soit demandé d’être confiné suite à la détection d’un cas de Covid en classe. Même les parents, qui ne savent pas toujours comment gérer leurs enfants confinés, sont souvent déboussolés. Ils ne comprennent pas, voire n’admettent pas, que leur enfant soit confiné plusieurs fois de suite… Ils croient que le Collège prend des décisions arbitraires en matière de santé. Ils ne savent pas que le Collège est tenu d’appliquer les mesures sanitaires imposées par le Ministère de l’Éducation, faute de quoi l’établissement est dans l’obligation de fermer ses portes… Cela aurait été certainement plus facile si la gestion était laissée à notre bon sens…
Dans tous les cas de figures, le Collège à l’ère du Coronavirus n’est plus le Collège que nous avons connu. Même notre jargon quotidien a changé, il est désormais infiltré par un vocabulaire relativement nouveau : Covid-19, Covid, Corona ; cas positifs, cas négatifs, cas contacts ; PCR, PCR rapide, test antigénique, CT ; gestes barrières, confinement, fermeture de classe, fermeture de division, etc. Même l’alphabet grec revient en force dans nos échanges : variant alpha, variant delta, variant omicron… et nous ignorons ce que l’avenir proche nous réserve en termes de nouvelles surprises et de nouveaux défis à relever… Quelle(s) lettre(s) de quel alphabet antique va-t-il encore ressusciter pour désigner de nouvelles réalités ou, pire, de nouveaux fléaux ?
Il est vrai que cette crise n’est pas propre à notre pays. Mais il n’est pas moins vrai que la gestion de cette crise au Liban est une tout autre affaire ; disons qu’elle a un autre goût, à nul autre pareil, et pour cause... Dans le pays du Cèdre, il ne s’agit pas seulement d’appliquer des mesures sanitaires et de veiller sur la santé des élèves et des adultes qui sont à leur service. Il faut aussi gérer, de main de maître, des cours à distance lors même que le courant électrique est loin d’être garanti partout et en tout temps. Les enseignants doivent maintenir un bon niveau d’étude tout en étant rongés par le souci permanent de nourrir leur famille avec leurs salaires devenus dérisoires. En somme, le contexte général du pays est loin d’être rassurant. C’est un vrai manège ! Les banques et l’argent des déposants sont un souci à part entière ! Nous vivons au rythme de décrets bancaires plus rocambolesques les uns que les autres ! Chaque jour, l’on s’attend à une nouvelle restriction monétaire qui limiterait encore plus drastiquement l’accès à notre propre argent... Et pour ne rien arranger, les tensions politiques enflamment les réseaux sociaux et se déchaînent dans les médias. Il est aussi une autre source d’angoisse, autrement dévastatrice, qui mine le quotidien de chaque Libanais : la peur de tomber malade ou de devoir se rendre à l’hôpital ou encore le souci de ne pouvoir trouver un simple médicament pour se soigner... Rien ni personne ne donne espoir. Tout est négatif, tout va à vau-l’eau dans notre pays. Et au milieu de tout cela, il nous est demandé de faire école. Mais dans quelle mesure cela est-il encore possible ?
Nos familles et nos enseignants sont désespérés, excédés, exaspérés de cette lutte interminable contre le chaos. Leur venir en aide dans la conjoncture actuelle de crises et de désordres tous azimuts n’est pas tâche facile. Dans les psaumes, l’orant en détresse demande à Dieu : « Jusqu’à quand, Seigneur, jusqu’à quand ? ». Cette supplication est désormais notre prière à tous… Vivre des temps difficiles n’est pas nouveau pour nous, mais les difficultés des années 2019-2022 sont autrement dures. Ce ne sont pas des difficultés comme celles vécues au temps de la guerre ou des guerres. Dans cette guerre sans nom, que nous vivons depuis maintenant trois ans, il ne s’agit pas de morts ou de blessés. Il n’y est pas question de barricades, de canons ou de tueries, mais bien d’un ensemble de crises multiformes qui secouent fortement l’École en tant qu’institution, en tant que corps organisé et voué au service des autres, et ce, de manière permanente et stable. Mais comment maintenir une structure organisée et performante dans ce contexte de chaos généralisé ?
Dans ce sombre tableau, l’on peut cependant voir se distinguer nettement, tel un phare dans les ténèbres, les différents acteurs éducatifs de notre famille… Tous, sans exception, abattent un travail de titan pour faire face à cet ensemble de crises généralisées. Il est vrai que nous nous sentons fragiles… Notre capacité de résistance et notre volonté de mener à bien notre service auprès de nos élèves s’épuisent et s’amenuisent... Mais avons-nous un autre choix que celui de nous battre pour sauver l’éducation ?
D’ailleurs, n’est-ce pas notre destinée, et tout particulièrement la vocation de Jamhour, de fonctionner dans un contexte de challenges continus ? Ces trois dernières années, nous avons eu à relever des défis de taille, et nous avons, une fois de plus, à puiser en nous de nouvelles ressources pour survivre. Quand nous pensons à tout ce que notre institution a connu pendant les années de guerres ; que de fois notre Collège a-t-il été la cible des bombardements ; que de fois a-t-il été envahi par des armées étrangères ; que de fois avons-nous continué d’assurer, sur d’autres campus et dans des lieux divers, l’éducation des jeunes qui nous étaient confiés… À chaque fois, et dans tous les cas de figures, Jamhour a toujours résisté contre vents et marées.
Ce que le Collège fait en ces temps s’inscrit dans le même esprit… nous continuons d’œuvrer avec la même foi et la même espérance. L’espoir seul ne suffit plus ; l’espérance, quant à elle, est, plus que jamais, de mise. C’est ce que reflètent ces quelques pages du Nous. Elles disent notre volonté de vivre pleinement, poussés par notre espérance, dans un contexte des plus compliqués et des plus durs qui soient. Un jour, nous jetterons un regard sur le passé et nous dirons : le Collège aura fait un travail héroïque pendant des temps impossibles et il sera sorti vainqueur et plus fort que jamais !