Thème de l’année 2016-2017

Printer-friendly versionSend by email

Thème de l’année 2016-2017

Parler pour vivre, ou vivre pour parler

L’année passée, nous avons pris le temps de comprendre les conditions d’un « vivre ensemble » sain dans notre communauté scolaire. Ce temps nous a permis de découvrir l’importance de la qualité de la communication, d’un dialogue sincère et d’une parole simple et claire entre nous. En cette année 2016-2017, nous allons mettre l’accent sur ces trois dimensions qui n’en font qu’une, à savoir la dimension de la Parole.

L’expérience de la Parole conditionne notre vie, avant même que nous ne venions au monde. Nos parents commencent à parler de nous, avant même que nous ne naissions : par la Parole des autres, nous retrouvons une place dans l’espace familial. À notre naissance, nous prenions possession de cet espace en prononçant une Première Parole, qui est un cri du fond de l’être, un désir de vivre qui, en ouvrant nos poumons et notre bouche, ouvre notre cœur à l’appel des autres. Le « vivre ensemble » trouve là son sens profond. Notre Première Parole, qui est à la fois une parole de souffrance et un désir de vivre avec les autres, résonne dans un espace où le désir des autres, nos parents, nous précède.

Transmise par le désir de nos parents sur nous, la Parole touche notre corps et le nomme, elle nous donne un nom, un prénom. Ce nom devient notre identité : sans ce nom, nous ne pouvons pas exister ! La Parole accompagne désormais tous les détails de notre vie. Avant que nous ayons l’aisance de son usage, les autres nomment pour nous tous les mouvements de notre corps et de notre cœur. La langue maternelle trouve là ses racines. Pourquoi cette langue est tellement facile à apprendre ?! Parce que c’est la langue de l’amour, de l’affection et des soins prodigués. Apprendre une langue et bien la parler ne peut se faire que dans un contexte d’amour ! Le contraire est aussi vrai : le refus d’une langue et de son contexte nous rend cette langue hermétique. L’apprentissage de la langue arabe classique au Collège en est une parfaite illustration.

Si pendant nos années scolaires nous continuons à développer notre langue maternelle, cela ne garantit pas pour autant une bonne communication avec les autres. Nous pouvons même apprendre plusieurs langues sans que nous ne parlions vraiment avec les autres. En effet, la Parole véritable s’avère parfois difficile, voire impossible. Il nous arrive quelquefois de parler pour ne rien dire ou, pire encore, pour mé-dire. La peur, le soupçon, la haine et la jalousie tuent la Parole en notre cœur, le lieu de l’éclosion de toute Parole véritable, en laissant place à une parole creuse, mensongère, méchante voire criminelle.

C’est pourquoi nous, éducateurs, parents et enfants, avons un rapport complexe à la Parole. Si à l’origine la Parole nous appelle à la Vie et nous la transmet, une parole peut facilement se retourner contre la Vie... Quand nous nous harcelons les uns les autres, quand nous médisons les uns des autres, quand nous nous envions les uns les autres, nous faisons résonner une parole qui s’est dévoyée, qui s’est trompée de chemin et qui est devenue dangereuse… une telle parole peut devenir une arme puissante capable de blesser gratuitement, de détruire et d’anéantir les autres. Quand elle perd sa source et sa fin - la Vie, une parole devient sadique, méchante, voire mortifère…

À l’école, comme dans toute communauté, une parole nous fait vivre comme elle peut nous tuer. Notre expérience, en classe, sur la cour de récréation, pendant les réunions ou ailleurs, ne fait qu’illustrer l’ambivalence de l’acte de parler. Dès le départ, la Parole est associée à la souffrance. Mais, il y a souffrance et souffrance… Née dans la souffrance, la Parole véritable peut faire souffrir pour construire. Être vraiment dans le dialogue et l’ouverture ne signifie pas simplement tenir des propos doux et complaisants… Notre « vivre ensemble » à l’école, marqué par le désir d’éduquer et de faire grandir, nous invite parfois à dire une parole aussi forte qu’un NON… Sans ce NON, qui pose des limites entre les personnes et qui délimite un champ de vie, le  « vivre ensemble » devient un chaos total. La souffrance causée par la Parole peut devenir pour nous une occasion de grandir, de mûrir et d’apprendre à respecter les autres. Dans nos relations à l’école, nous sommes tous appelés à bien discerner la qualité de la Parole qui traverse nos cœurs et nos lèvres pour être sûrs que, si elle peut faire souffrir, cette souffrance est pour la vie et non pour la mort…

Et « Dieu créa tout par sa Parole », nous disent les premières pages de la Bible ; Dieu donne la Vie par sa Parole. Il dota l’homme du pouvoir de re-création par la Parole :
Adam recréa toutes choses autour de lui en les nommant… De plus, Dieu propose de nous recréer par sa Parole de pardon et de miséricorde. Sa Parole libère en nous les sources de la Vie et réconcilie nos cœurs avec la Vie véritable. Ce pardon et cette miséricorde demeurent des outils puissants pour réouvrir les chemins de la communication entre nous. Jésus, la Parole de Dieu, nous donne l’exemple même de ce pardon en acte, qui délie les langues et redonne à la parole l’éclat de sa fraîcheur originelle. En cette année où nous cherchons à améliorer la qualité de la parole et du dialogue, demandons au Seigneur d’ouvrir l’oreille de notre cœur à sa Parole et le courage de l’incarner afin que la Vie continue à fleurir sur notre colline.

Charbel Batour, S.J.
Recteur