Etre délégué, c'est la classe ! (paru dans La Croix du 06/10/2010)

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Les élections de délégués de classe se tiennent avant les vacances de la Toussaint. L'occasion pour les élèves de faire preuve de leurs talents de « médiateurs »

Lorsque, deux jours après la rentrée, le professeur principal d'une classe de terminale de la banlieue parisienne a demandé à ses élèves lequel d'entre eux souhaitait représenter « provisoirement » ses camarades avant la tenue des élections officielles, de nombreuses têtes se sont tournées vers Thomas. L'adolescent est pourtant resté silencieux. « Ça ne t'intéresse pas ? », a chuchoté, incrédule, sa voisine Léa. « Je ne veux pas être "provisoire" », lui a répondu Thomas.

Pour ce jeune homme de 17 ans, qui brigue un quatrième mandat de délégué de classe, pas question de compromettre ses chances d'être élu par une déclaration trop hâtive. Le résultat du scrutin qui se tient la semaine prochaine dans son lycée dira si sa stratégie a été payante.

Au collège et au lycée, depuis 1969, chaque classe désigne deux délégués de classe et deux suppléants au début de l'année scolaire, au maximum six semaines après la rentrée. Véritables représentants d'une « démocratie scolaire », acteurs à part entière de la communauté éducative ou simples potiches ?

La circulaire ministérielle du 9 octobre 1945 prévoyait que celui qu'on appelait alors «le chef de classe» soit « chargé de la bonne tenue morale de la classe (lutte contre le mensonge, le copiage, la tricherie, la grossièreté des propos) et de la bonne tenue du matériel (propreté, aération, décoration, rangement des cartes...) ».

Chargé de représenter ses camarades, « pour le pire et pour le meilleur »

Aujourd'hui, le délégué de classe est chargé de représenter ses camarades, « pour le pire et pour le meilleur », observent souvent ceux qui en ont fait l'expérience. Sur son site, le ministère de l'éducation nationale décrit leur rôle comme des « médiateurs entre leurs camarades et les autres membres de la communauté éducative : personnel de direction, personnel enseignant et non enseignant et parents d'élèves ».

Son rôle a donc évolué, du moins dans les textes. Dans les faits, de grandes disparités existent. Elles sont plus marquées dans l'enseignement catholique où les chefs d'établissement, qui disposent d'une liberté de choix sur la place à leur accorder, font parfois preuve de réticence. Une situation que regrette Gilles du Retail, directeur de l'information au secrétariat général de l'enseignement catholique. « L'école catholique aurait intérêt à avoir plus de représentation des élèves. Il faudrait prendre exemple sur l'enseignement agricole catholique qui, de longue date, leur a donné la parole. Davantage de dialogue apporterait un retour sur les attentes, les questionnements et les problèmes d'orientation des jeunes, ce qui pourrait enrichir nos débats », explique-t-il.

Le constat est le même du côté des représentants de parents d'élèves. Pour Béatrice Barraud, présidente de l'Apel (Association des parents d'élèves de l'enseignement libre), « certains chefs d'établissement sont très ouverts, mais d'autres plus réticents, notamment sur la question de la présence des délégués aux conseils de classe. Il faut parfois les convaincre, mais lorsque c'est acquis, ça marche. »

Jean-Marc Cimino, principal d'un collège près de Saint-Lô, a rédigé, voilà une quinzaine d'années, un livret d'accompagnement à l'intention des délégués de classe, réédité chaque année (1). Le succès rencontré par son fascicule édité par le Centre de ressources pédagogiques de Basse- Normandie l'a conduit à être détaché aux affaires lycéennes au rectorat de Caen dans les années 1990. Une expérience qui l'a amené à bien connaître les délégués de classe et leurs motivations et à observer qu'à l'inverse d'une idée reçue, leur profil n'est pas automatiquement celui du « bon élève ».

 

"Une profonde conviction qu'ils vont être utiles"

L'élu n'est pas non plus « forcément » un enfant de délégué de parents d'élèves, voire un jeune tombé très tôt dans la marmite syndicale ou politique, même si François Hollande, Jean-Louis Bianco ou Bruno Julliard ont connu leurs premières victoires électorales au sein de l'école... Le trait d'union entre les candidats est à chercher ailleurs, « dans le partage d'une profonde conviction qu'ils vont être utiles », observe Jean-Marc Cimino.

Bien sûr, tous les jeunes, au moment de déclarer leur candidature, ne sont pas animés d'un fervent désir de servir la collectivité. À 19 ans, Juliette se rappelle s'être présentée durant ses années de collège « pour tester ma popularité ». « C'est vrai que certains élèves se présentent surtout pour voir s'ils vont être élus. C'est pour cette raison qu'une formation pré-électorale faisant émerger la notion de contrat est utile. L'élève doit être amené à s'interroger sur la question : pourquoi est-ce que je me présente ? Pourquoi les autres m'élisent-ils ? »

Du côté des parents, cette « promotion » qui propulse leur enfant sur le devant de la scène scolaire est souvent vue d'un œil favorable : « J'aid'abord été très fière. Pour moi, cela voulait dire que mon fils s'était bien intégré dans sa nouvelle classe. J'avais seulement la crainte, comme il n'est pas très attentif, qu'il ne s'attire les foudres des professeurs au moindre écart de comportement », nuance Sylvie, mère de Baptiste, 12 ans.

Ce sentiment de fierté est partagé par une majorité de parents, souvent conscients que cette expérience permettra aussi à leur enfant d'acquérir de nouveaux savoir-faire parfois peu valorisés à l'école, de la prise de parole en public à l'animation de réunion, en passant par l'apprentissage de la vie sociale et civique, l'art de la négociation et l'acquisition de précieux rudiments de diplomatie.

 

Une fonction qui permet de valoriser la prise de responsabilité et d'initiative

« Cette fonction valorise des compétences transversales, notamment la prise de responsabilité et d'initiative. Les délégués se sentent également investis d'une certaine exemplarité vis-à-vis des autres élèves. On se rend d'ailleurs compte que quand un élève est mis en situation d'en aider un autre ou de s'impliquer dans un groupe de travail, c'est un important levier de motivation. Certains professeurs principaux en ont conscience et encouragent des enfants à se présenter aux élections », remarque Brigitte Prot, psychopédagogue qui dispense des formations autour de cette thématique dans les collèges et lycées à destination des élèves et enseignants (2).

Cette spécialiste de la motivation remarque aussi des bénéfices collatéraux inattendus : « Je vois beaucoup d'élèves qui, à l'issue de cette expérience, se positionnent différemment au sein de leur fratrie, et prennent davantage de responsabilités à la maison. »

Si Baptiste ne s'est pas retrouvé dans le collimateur des enseignants, il n'a cependant pas eu l'impression de « servir à grand-chose ». « Pour les élèves qui se présentent dans le but d'être utiles à la collectivité, la déception est souvent à la hauteur de cette conviction.

Car le vrai problème est le regard que certains adultes portent sur ces élèves en les considérant comme seulement utiles à escorter leur camarade à l'infirmerie ou à aller chercher le cahier de textes de la classe », observe Jean-Marc Cimino. Une situation qui irrite ce défenseur de la démocratie scolaire pour qui un délégué de classe n'est « ni une potiche ni une bonne à tout faire, mais un relais que l'on doit considérer comme tel ».

Avec à la clé, pour les enfants, l'acquisition d'un savoir-faire leur permettant d'accéder progressivement au monde des adultes. Et, pour l'équipe éducative, une meilleure compréhension des préoccupations de ceux dont ils ont la charge.

Marie AUFFRET-PERICONE

(1) Le Livret du délégué au collège, CRDP de Basse-Normandie, 6 €, et Délégué élève au collège et au lycée, DVD vidéo, 19 €.
(2) J'suis pas motivé, je fais pas exprès !, Éd. Albin Michel. www.brigitte-prot.fr