Rappel à Dieu du Cardinal Mar Nasrallah Boutros Sfeir (1920-2019)

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Rappel à Dieu du Cardinal Mar Nasrallah Boutros Sfeir (1920-2019)

Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient de 1986-2011
Ancien du Collège Notre-Dame de Jamhour (Promotion 1944)

 

Photos de la visite Patriarcale au Collège le 23 février 2003

 

 

 

 

Homélie du Patriarche Sfeir
lors de la Messe solennelle du Jubilé d’Or du Collège, le 23 février 2003

 

« Cinquante ans que le Collège est sur cette colline et qu’il accomplit sa mission éducative grâce à quelque 105 pères jésuites, frères ou scolastiques et 24 religieuses qui se sont tous dévoués au service de la jeunesse libanaise.

Cinquante ans d’histoire, jalonnée d’événements heureux et moins heureux, au rythme de ce qu’ont vécu les Libanais.

Sur la colline, le Collège a bénéficié de l’air pur de la montagne, du ciel limpide et d’un climat sain, mais il a aussi vécu les affres de la guerre et les nombreuses catastrophes que la folie des hommes peut engendrer. Jamhour a subi un pilonnage intensif, accusant par cinq fois des bombardements de plein fouet. Il a fallu poursuivre, en dehors de l’enceinte du Collège, la mission éducative et quitter la colline trois fois ! Il a fallu, comme tant de Libanais, reconstruire alors même que les bombardements se poursuivaient. Cette ténacité et cette obstination des jésuites, suscitant l’admiration de tous, montre bien leur attachement au Liban, leur foi en ce petit pays riche d’une civilisation vieille de 6.000 ans.

Et voici qu’aujourd’hui le Collège Notre-Dame de Jamhour, ancré sur la colline, contemple l’horizon, veillant sur ses 3.000 élèves, eux qui sont l’espoir d’un avenir prometteur !

La Compagnie de Jésus assure sa mission éducative depuis des centaines d’années, partout dans le monde, aussi bien en Orient qu’en Occident. Une mission de foi, faite d’une méthodologie inimitable, mise au point dès la moitié du XVIe siècle par son fondateur, saint Ignace de Loyola.

Le Collège Notre-Dame de Jamhour a fait siennes les vertus si chères à la Vierge Marie, la foi en Dieu, le savoir et le service, pour les reprendre dans les maîtres mots de son jubilé d’or : croire, savoir, servir.

En effet, une âme sans foi n’est-elle pas sans espérance ? Un esprit sans savoir n’est-il pas sans lumière et dépourvu de toute clairvoyance ? L’être humain qui ne se soucie guère des autres et qui vit sans servir, ne vit-il pas loin de Dieu et des hommes ?

 

Ces vertus, si chères à la Vierge Marie, le Collège les a intégrées dans son Projet éducatif, un projet qui vise à dispenser une culture littéraire et scientifique ; à éveiller le souci du bien commun et à former au sens social ; à développer dans le respect des autres convictions religieuses les valeurs spirituelles de la foi chrétienne. Un projet éducatif qui donne au Collège son identité.

 

L’esprit de solidarité dans la Communauté éducative de Jamhour caractérise le Collège. Ses membres constituent un seul corps, comme le corps mystique du Christ dont saint Paul dit : Ainsi nous, à plusieurs, nous ne formons qu’un seul corps dans le Christ, étant, chacun pour sa part, membres les uns des autres. (Ro 12,5) ; Un membre souffre-t-il ? Tous les membres souffrent avec lui. Un membre est-il à l’honneur ? Tous les membres se réjouissent avec lui. (1 Co 12, 26). À Jamhour, l’esprit de solidarité se traduit par le système des bourses scolaires, par cette chaîne de solidarité mise en place par le Collège et qui permet à chacun d’avoir accès à l’éducation et de bénéficier de la mission éducative, quelle que soit sa situation économique. On retrouve bien là le message du Saint-Père lors de son Exhortation Apostolique « Une espérance nouvelle pour le Liban » :

Dans la mesure où les circonstances concrètes le lui permettent, l’Église au Liban s’efforce d’être toujours présente à cette activité humaine de première importance ; elle sait l’estime que lui portent la grande majorité des Libanais et elle est fière de pouvoir scolariser de très nombreux enfants dans l’ensemble du pays, sans aucune distinction ou discrimination. Forte de la confiance qui lui est accordée, elle doit poursuivre ses tâches, en prenant des mesures pour rendre ses établissements d’enseignement accessibles à tous ceux qui peuvent être formés, en particulier aux plus pauvres économiquement, afin de leur permettre d’accéder à la formation de base nécessaire à la vie en société et à la culture.  En effet, accueillir des jeunes pauvres dans ses écoles constitue une longue tradition de l’Église catholique. J’encourage les communautés catholiques à développer une réelle solidarité entre elles et avec les jeunes dont elles ont la charge, afin qu’aucun jeune n’interrompe sa formation pour des raisons uniquement matérielles ou financières. Dans ce domaine, on apprécie la générosité des institutions éducatives et des fidèles et on souhaite qu’ils poursuivent le partage, dans le cadre de la formation aussi bien scolaire qu’universitaire, en faveur des élèves et des étudiants nécessiteux, de ceux qui viennent des régions rurales et qui ont souvent des difficultés à se loger et à subvenir à leurs besoins primordiaux. En réalisant cela, les écoles catholiques contribueront à l’intégration des jeunes dans une société culturellement riche et les aideront à envisager un avenir meilleur.

Il ne suffit pas, en matière d’éducation, de cibler uniquement le savoir et les connaissances. La science, seule, ne forme pas de véritables hommes. Elle doit se faire de pair avec une éducation de la volonté au service d’autrui, une éducation de la personne dans toutes ses dimensions, religieuse, humaine et sociale.

Le P. Pedro Aruppe, ancien supérieur général de la Compagnie de Jésus, parlait d’une éducation basée sur la justice : Former pour la justice, c’est former des hommes qui soient des agents efficaces de transformation et de changement… jusqu’aux réformes des structures. Cela requiert un genre de transformation qui nous habilite à l’analyse des situations particulières que l’on veut transformer, et à l’élaboration de plans d’action qui réalisent pratiquement les objectifs de transformation et de libération. Cherchons les avis de ceux qui, dans nos associations, sont le plus en marge. Car, en dernière analyse, ce sont les opprimés qui doivent être les agents principaux du changement. Le rôle de ceux qui sont en place est de les assister, d’appuyer par une pression qui vient d’en haut la pression qui vient d’en bas sur les structures qui ont besoin d’être changées.

Le P. Peter-Hans Kolvenbach, supérieur général de la Compagnie de Jésus, le dit bien : Que cherchez-vous en éduquant les jeunes ? N’est-ce pas d’aider chaque jeune à devenir un être pleinement libre, capable de se situer en adulte face aux autres, face à Dieu et face à lui-même ? N’est-ce pas d’apprendre à connaître où est la justice et à la pratiquer pour que le monde devienne solidaire ? […] Ne nous trompons pas : combien de nos étudiants arrivent dans nos écoles simplement à la recherche de l’excellence que nous offrons, et d’une formation qui leur permette d’obtenir un bon poste de travail et de grossir leurs revenus.

Gagner de l’argent et faire fortune aux dépens de la vérité, de la justice et de la conscience, est-ce vraiment le but de l’éducation ? Saint Paul affirme : La science enfle, mais l’amour édifie. (1 Co 8, 1)

Je remercie les dirigeants de ce Collège et les félicite pour tout ce qu’ils ont fait ces cinquante années. Je m’adresse aux jeunes, filles et garçons, qui sont encore étudiants, et à travers eux, à toute la jeunesse libanaise, pour leur dire : le Liban vous attend. Le Liban compte sur vous, il met en vous son espérance. Ne le décevez pas, soyez des citoyens croyants ! Sacrifiez-vous pour votre patrie, pour qu’elle demeure toujours fière et indépendante. La patrie n’est pas uniquement un territoire, des pierres, des plaines et des montagnes, des vallées et des collines, c’est d’abord une histoire, une civilisation et une culture. La patrie, c’est des hommes et des femmes qui n’ont pas peur de s’acquitter de leur devoir et qui sont guidés par leur conscience, une conscience éclairée par Dieu. La patrie, c’est ces hommes et ces femmes croyants qui œuvrent pour la vérité et le bien. Le Liban est unique entre toutes les patries. Rappelez-vous ce que dit la Vierge Marie dans son cantique d’action de grâce et partagez sa foi en Dieu qui renverse les puissants de leurs trônes et élève les humbles. »