Père Bruno Sion : La modestie au service de l’éducation

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L'Hebdo-Magazine (Nº 2778 du vendredi 04 février 2011)

Bruno Sion. Parcours atypique d'un jésuite

Si le père Sion a tout de suite accepté de recevoir Magazine, et si le sujet, un profil personnel, ne lui était pas inconnu, le religieux a soigneusement évité toutes les questions trop personnelles et n’a «livré» que ce qu’il comptait bien livrer dès le début. Du coup, la rencontre a ressemblé très vite à une bonne partie d’échecs, dont il est difficile de sortir vainqueur. Le père Bruno Sion a bien répondu aux diverses curiosités de Magazine, mais a esquivé tout ce dont il n’était pas prêt à discourir. Portrait d’un FrancoLibanais attachant, d’un père recteur qui préconise l’apprentissage dans la joie.

L'Hebdo-Magazine (Nº 2778 du vendredi 04 février 2011)

Bruno Sion est né, il y a 65 ans, à Armentières, dans le nord de la France, «la région de Line Renaud et de Dany Boon», glissetil dans un sourire. Neuvième d’une famille de 13 enfants, grandi entre des parents très pieux, dans une ambiance qu’il qualifie de franchement joyeuse, le jeune Bruno a tout de même dû comprendre, très tôt, que c’était à lui de se faire une place au soleil. Au beau milieu de cette fratrie nombreuse, Sion a cultivé un sens de la débrouillardise, mais aussi une qua lité qui se fait rare de nos jours, une modestie que l’on pourrait juger excessive. Sauf que c’est sa façon de voir les choses: le père Bruno Sion n’aime pas être en pole position. Il n’aime pas les honneurs, et se sent bien plus à l’aise – nous reprenons là ses propres termes – «dans un rôle de second que de premier». Voilà qui est atypique, mais qui se comprend bien une fois qu’on apprend à connaître un peu mieux le personnage. Plus de place pour un Sion de plus sur le calice! C’est que, enfant, Bruno Sion n’a jamais été un leader. Plutôt bon élève, certes, surtout en maths, dont il sera même agrégé, en 1976, le jeune garçon était plus fan des chansons du père Duval que de rockandroll. Tant et si bien que, dès l’âge de 10 ans, il sait, comme une éviden ce, qu’il sera prêtre. Aussi, dès la seconde année préparatoire de maths, alors qu’il n’avait que 17 ans, il entre au séminaire. Il y continue ses études, décroche un doctorat de Maths… et décroche de la religion! En tout cas, il lâche l’idée de devenir prêtre et redevient monsieur Toutlemonde. Certes un peu plus pieux que le commun des mortels, mais pas assez, pensaitil à l’époque, pour devenir religieux. Les raisons de ce recul ne seront pas dévoilées par le père Sion qui reconnaît, cependant, être resté célibataire. La vocation est revenue par hasard, alors qu’il ne s’y attendait plus du tout, au détour d’une virée… à moto, entre la Suède et la Norvège. Il s’est surpris à chanter des psaumes en boucle, et s’est senti à nouveau appelé. Au retour de ce voyage, il est déjà décidé, et frappe à la porte des jésuites. Ceuxlà le soumettent à ce qu’ils appellent une candidature, c’estàdire une sorte de mise à l’épreuve, pour que lui et la congrégation puissent estimer la possibilité de l’ordonner prêtre. Cette candidature se passe à Kfarfalous, eh oui, au Liban même, déjà à l’époque. Nous sommes en 1983, et pour «M. Sion», le prof de maths, venu enseigner dans ce coin reculé du pays, loin de chez lui, c’est une révélation. Le Liban, il aime, beaucoup même. Et les élèves lui semblent par ailleurs plus motivés qu’en France. De retour au pays, lui et la Compagnie de Jésus savent désormais que son destin est tout tracé. Problème mineur: au moment de l’ordination, il n’y avait plus de place pour un Sion de plus sur le calice! C’est que la tradition veut que les prêtres d’une même famille aient leur nom gravé sur un même calice. Or, les Sion avaient déjà donné… Mais ils ont donné un seul pour le Liban. Décidément, l’avenir du père Bruno Sion semble attaché sur les terres libanaises. A peine trois ou quatre jours après la cérémonie d’ordination, il retourne au Liban, en pleine tourmente de la guerre de libération.

L’enseignement, l’autre vocation

Il prend même le chemin inverse des Libanais qui fuient les bombardements, empruntant le navire qui quitte les côtes chypriotes vers Jounié. Direction l’Ecole supérieure d’ingénieurs de Beyrouth (Esib), rattachée à l’Université SaintJoseph (USJ), où, désormais en soutane, il enseigne les maths. Il y dispensera des cours pendant 20 ans, ne s’arrêtant que l’année passée, faute de temps, puisqu’il venait d’être nommé recteur du Collège de Jamhour. L’enseignement a toujours été, pour le père Sion, une seconde nature, certainement l’autre vocation, peutêtre bien, somme toute, le corollaire de la première. Jusqu’aujourd’hui, il se déclare toujours prêt quand il y a des remplacements, tant l’idée de guider, de révéler, lui plaît, et tant il apprécie les visages des élèves quand ils ont compris la leçon. Aujourd’hui, une journée type du père Sion commence par un réveil vers 4h45, parfois même plus tôt, quand l’envie lui prend de faire une petite marche au milieu des pins de la forêt de l’école. A 6h30, il dit la messe, chez les Sœurs du Petit Collège, puis se met invariablement au travail. Courriers, réunions, rendezvous, bilans… Le père Sion n’a que peu de temps pour les loisirs. Il avoue être très peu mondain, et ne consent à assister à des cérémonies, notamment à l’école, que quand il y est obligé. Sinon, c’est à 21h00, 21h30 qu’il éteint la lumière, non sans avoir passé quelque temps sur des sites d’actualité sur Internet! Autrement, les amitiés du père Sion sont surtout parmi ses connaissances académiques, des laïcs ou des religieux, avec lesquels il organise des retraites spirituelles de plusieurs jours, durant les vacances scolaires. Des retraites qui lui permettent de faire le vide, de rencontrer le Seigneur, de se retrouver pour quelque temps, en face à face avec le créateur. Des moments bénis, qui semblent assurer au père Bruno Sion ce calme, cette sérénité dans le regard et cette bonhomie qui font de lui undirecteur d’école aimant et généreux. JOUMANA NAHAS

La joie à l’école

Depuis qu’il a pris la tête du rectorat du Collège de Jamhour, le père Bruno Sion n’a qu’une priorité en tête: rendre l’apprentissage plus joyeux, moins stressé. Conscient de la réputation de dureté qu’a le collège, il voudrait bien que les élèves déstressent. Mais pas seulement eux! Leurs parents aussi, ajoute le religieux, non sans humour, devraient apprendre à lâcher un peu la bride. C’est que la vie n’est pas, ne devrait pas être, que devoirs, évaluations et stress. Il devrait aussi y avoir place pour la bonne humeur, la joie, les rencontres, le plaisir. Fort de cet objectif qu’il s’est fixé, le père Bruno Sion a introduit des réformes, pour lesquelles il a dû se battre pour en faire accepter le bienfondé par les parents d’élèves. Désormais, le suivi des élèves se fait de manière verticale, c’estàdire que trois sections seulement sont sous la responsabilité d’un même préfet, sur une durée de 5 ans. Ce qui devrait permettre, non seulement de casser l’anonymat entre éducateurs et élèves, mais aussi ouvrir la porte du collège à plus d’admissions. Pour ce qui est de la mixité, le père Sion avoue que Jamhour devrait se concentrer à rester plutôt une école de garçons, avec quand même un quota de filles de 40%... et la promesse que frères et sœurs sont automatiquement admis, sans discrimination aucune.

Ce qu’il en pense

Niveau d’intérêt et d’attention des élèves: «Ils sont à mon avis plus sérieux qu’en France. J’y ai été professeur pendant 13 ans, et ici pendant plus de 20 ans… Maintenant, c’est vrai, et je reconnais que Jamhour a la réputation d’être stressant, et c’est pour cela que j’essaie d’instaurer le thème de la joie au collège. Sans pour autant toucher au niveau d’intérêt et d’attention, qui sont très satisfaisants et qui doivent le rester». Rôle de l’autorité en matière d’éducation: «Il est important de mettre de l’ordre, pour rassurer. Les gens se sentent en sécurité quand il y a de l’ordre, de l’autorité. Au Liban, le problème c’est qu’il n’y en a pas assez. Même au collège, les choses ontbeaucoup changé. Les parents inscrivent leurs enfants en s’imaginant que rien n’a changé depuis le temps où euxmêmes étaient élèves. C’est faux. Il y a de la grossièreté, de l’indiscipline. On voudrait bien rajuster les choses». Avenir du système éducatif: «C’est un métier qui se transforme. Il faut s’adapter aux nouvelles technologies. Par exemple, nous avons déjà, en classe de terminale, expérimenté les tableaux tactiles. Les professeurs sont très motivés, mais il leur faut des formations… Notre rêve serait que chaque élève ait son propre ordinateur portable, ce qui n’est ni plus lourd ni plus cher que les livres. On y arrivera, à un rythme que j’espère rapide».